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James Tyler Kent avait coutume dit-on d’enseigner la matière médicale à ses étudiants en lisant et commentant de sa chaire les symptômes cliniques qu’il parcourait au fil des pages de l’encyclopédie de Hering. Dans l’auditoire, à Saint-Louis, se tenait Frederica Gladwin. Supposez que vous deviez apprendre par cœur les quelques centaines de symptômes de Crocus qui figurent dans les Guiding Symptoms. Vous mettriez autant de temps et vous auriez autant de difficultés à le faire qu’à extraire manuellement quelques grammes du précieux safran à partir des fleurs de Crocus.
Pour nous aider, Gladwin entreprend alors de personnifier les médicaments de la Matière Médicale : elle « famille » nos remèdes pour en faire des personnages vivants et bien réels, rendus « haut en couleur » par leurs caractéristiques homéopathiques essentielles, si justement choisies. Grâce à son talent, vous vous souviendrez mieux maintenant du remède Crocus, car même si vous ne vous rappelez pas exactement des mots et des termes exacts de ses symptômes, tels qu’ils sont écrits dans l’Encyclopédie ou encore dans le Répertoire, vous pourrez à votre tour raconter l’histoire de la famille Crocus, ces interprètes si cocasses, dont les faits et gestes vous seront devenus familiers.
« Noël chez les Crocus », un texte écrit probablement à la fin de l’année 1907, est peut-être aussi, je me le demande, un autre cadeau offert par Gladwin à la profession durant la période de Noël. Il nous rappelle l’innocence et la spontanéité des enfants qui souvent choisissent d’illuminer leurs dessins d’un soleil jaune magnifique.
Un grand merci à Christian pour son énorme travail de traduction.


NOËL CHEZ LES CROCUS

M. et Mme Crocus ont décidé de fêter Noël comme il se doit. M. et Mme Crocus sont de vraies girouettes : ils sont du genre à revenir si vite sur leurs décisions qu’il est à peine croyable que leur projet se soit jamais concrétisé. Pour préparer l’événement, M. Crocus se munit d’une feuille de papier et d’un crayon, prêt à mettre idées et suggestions par écrit, mais il s’avéra très vite qu’il en était incapable car elles lui étaient déjà toutes sorties de la tête. Ce que voyant, très déprimé, il déclara qu’il n’était plus bon à rien en affaires et n’allait pas tarder à mourir. Furieuse de l’entendre raconter pareilles sottises, Mme Crocus, qui s’apprêtait à lui passer un sacré savon, sentit soudain son courroux retomber. Puis, constatant qu’elle ne lui en voulait plus du tout, elle se mit en rage contre elle-même, et se reprocha son incapacité à rester plus de dix secondes en colère.

Les petits Crocus étaient des enfants d’un naturel affectueux et heureux qui aimaient rire et chahuter mais qui, par ailleurs, pouvaient s’emporter facilement et se mettre en colère à tout moment.

M. et Mme Crocus décidèrent de faire l’impasse sur l’arbre de Noël parce que, n’arrêtant pas de changer d’avis, ils se dirent que le choix des cadeaux leur ferait perdre trop de temps et d’argent.
Quand les enfants Crocus apprirent qu’ils seraient privés d’arbre de Noël, ils sombrèrent dans un chagrin tel qu’on les eût dit inconsolables. Toutefois, lorsque leurs parents leur annoncèrent qu’ils auraient peut-être droit à une grande fête à la place, leur abattement fit place au ravissement : ils se mirent à gambader, rire, siffloter, chanter, tout en tentant de faire des bises à tout le monde. Ils attendirent les festivités promises en se rongeant d’impatience. Le grand jour finit par arriver et, avec lui, les invités. Le grand-père Crocus était un ancien combattant. Sa vieille blessure, qui avait fini par cicatriser avec les années, venait de se rouvrir et suppurait, lui faisant un mal de chien. Grand-père Crocus n’est plus tout jeune. Ses jambes cèdent quand il est debout et ses genoux craquent quand il se baisse. Plus il marche, plus il souffre. Le colonel Staphysagria, qui avait écopé d’un coup d’épée au cours de l’engagement où grand-père Crocus avait lui-même été blessé, et qui, sur ses vieux jours, était devenu raide et faible, fut invité à lui tenir compagnie.

Un programme charmant avait été concocté pour la soirée de Noël. Débordants d’entrain, les Crocus étaient d’attaque pour participer à toutes les réjouissances.

Mlle Arum triphyllum, qu’on avait invitée à chanter en solo, s’exécuta de bonne grâce, mais sa voix n’ayant pas tardé à flancher, il lui fallut s’interrompre. Cela n’eut guère d’incidence car, dès la première note, les Crocus n’avaient pu s’empêcher de faire chorus - pour s’arrêter aussitôt dans un grand éclat de rire. Mais, au moment précis où la voix de Mlle Arum triphyllum lâcha, ils se remirent à chanter comme un seul homme et le solo se termina en un chœur vibrant.

Mlle Agaricus se disait que Mlle Arum triphyllum avait été bien imprudente d’essayer de chanter, car elle aurait dû se douter que sa voix lui ferait faux bond après les efforts qu’elle lui avait imposés lors de la répétition de la chorale. Elle-même avait d’ailleurs refusé de chanter précisément pour cette raison. Lorsqu’on eut fini de chanter, Mlle Cicuta divertit la compagnie avec une danse aussi bizarre que grotesque qui devait remonter aux origines de l’humanité. A cette vue, les sœurs Tarentula se mirent à agiter la tête, frétiller des mains et des pieds, chose d’autant plus étrange que, d’habitude, la musique avait sur elles un effet calmant. Avant la fin du numéro, toutefois, incapables de se retenir davantage, elles se dressèrent d’un bond et se lancèrent dans une gigue frénétique. Sur ces entrefaites, les Crocus au grand complet, bientôt imités par tous les invités en état de participer, se joignirent en riant aux sœurs Tarentula dans cette danse endiablée. Quand tout le monde fut fatigué de se démener, Veratrum proposa de passer au jeu bien connu du baiser. Les Crocus acceptèrent, car ils adoraient les embrassades tout autant que le chant et la danse. Mais Mlle Agaricus, personne convenable et à cheval sur l’hygiène, s’opposa à ces promiscuités, déclarant que si l’on devait absolument s’embrasser il faudrait que ce soit sur les mains seulement. Il fut finalement décidé que les prudes pourraient s’embrasser sur les mains si ça leur chantait mais que les autres pouvaient recourir aux bonnes vieilles méthodes. Le jeu commença et tout allait pour le mieux quand soudain un invité distrait gratifia Mlle Anacardium d’un franc baiser sur la joue, ce qui plongea celle-ci dans une rage telle qu’elle en proféra un juron bien senti au grand dam de toute l’assemblée, et que le jeu prit fin sur-le-champ.

On en était là quand Mme Crocus, sous le coup d'une envie de boisson froide, se rappela les rafraîchissements. Quand elle les eut apportés, les jeunes gens, ravis de se désaltérer, s’assirent par terre devant la cheminée. A peine avaient-ils commencé à boire, que M. Belladonna vit - ou crut voir - un fantôme au milieu des flammes. Personne d’autre que lui n’avait vu quoi que ce soit, mais quand on est réunis à plusieurs autour d’une flambée et que le mot fantôme est lâché, chacun y va aussitôt de son histoire. Quelqu’un demanda ainsi à la cantonade quand les fantômes apparaissaient d’habitude. Arsenicum répondit que ça pouvait être à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Dulcamara et Zincum, pensaient, quant à eux, qu’ils ne se montraient qu’au réveil. Mais Lachesis, Sulphur, Calcarea et Bryonia, d’accord avec Arsenicum, affirmèrent que les spectres pouvaient se manifester à tout moment, qu’il suffisait, pour les voir, de fermer les yeux. Péremptoire, Aurum décréta qu’ils flottaient dans l’air en permanence. Pulsatilla et Arnica, de leur côté, se dirent persuadés qu’ils n’apparaissaient que dans les rêves. Du coup, Crotalus cascavella se mit à raconter qu’il avait vu le spectre de la mort, lequel ressemblait à un grand squelette noir. Sur ce, Mme Crocus, qui commençait à piquer du nez, constatant que la conversation prenait un tour fâcheux et qu’on avait fini de boire et de manger, expédia tout le monde au lit.

Ils se couchèrent donc tous mais aucun d’eux ne réussit à s’endormir. Lachesis, Nux vomica, Pulsatilla et Sulphur étaient tellement survoltés que leurs pensées les empêchèrent de dormir. Quand Pulsatilla et Sulphur finirent par tomber dans les bras de Morphée, ce fut pour rêver de fantômes. Lachesis émergea à plusieurs reprises de son premier sommeil, persuadée qu’elle suffoquait. Quand ils dormirent tous enfin tranquillement, quelque chose les réveilla en sursaut. Ils se demandèrent d’abord s’il ne s’agissait pas d’un chœur d’anges célébrant ce matin de Noël ou si ce n’étaient pas plutôt de simples murmures. Toutefois, quand ils eurent suffisamment retrouvé leurs esprits pour comprendre d’où venait la musique, ce fut pour découvrir les Crocus qui chantaient dans leur sommeil, accompagnés par Belladonna et Phosphoric acidum, eux aussi endormis, venus leur prêter main forte. Arsenicum partageait un lit avec Sulphur, mais comme ce dernier n’arrêtait pas de ruer et d’arracher les couvertures, Arsenicum était gelé.

Lui-même fort agité et n’en pouvant plus, Arsenicum se leva et alla s’asseoir un moment dans un fauteuil. Mais se sentant toujours aussi mal, il se glissa dans le lit de Nux vomica qui était soigneusement bordé. Arsenicum bougeait tellement que Nux vomica, bientôt tout débordé, le tança vertement en lui disant que ce n’était pas parce qu’il ne pouvait pas dormir qu’il devait empêcher les autres de fermer l’œil. Arsenicum regagna donc son fauteuil, avant finalement de retourner, épuisé, se coucher avec Sulphur.

Le lendemain matin, on eut bien du mal à réunir la maisonnée autour du petit déjeuner. Nux vomica et Sulphur se retournèrent aussi sec dans le lit, décrétant qu’ils allaient dormir encore un peu. Pulsatilla était si accablée au réveil qu’elle eut l’impression d’avoir passé une nuit blanche. Sachant toutefois pertinemment que plus elle s’attarderait au lit, plus elle serait fatiguée, elle se leva sans attendre.

Alors que tout le monde était enfin debout, la journée faillit être gâchée par la soudaine indisposition de l’aîné des enfants Crocus, qui se plaignit de douleurs déchirantes aiguës dans le globe oculaire droit. La douleur était apparue brutalement, et, tout aussi brutalement, l’œil en question devint aveugle. La perte de vision, qui avait d’abord touché le centre, gagna rapidement le reste de l’œil, faisant bientôt disparaître toute lumière. La pupille était extrêmement dilatée et le jeune garçon eut la sensation qu’un courant d’air froid lui transperçait les yeux. Après le petit déjeuner, on avait prévu d’aller en forêt chercher de quoi décorer la maison. Mais les invités, désolés de voir le jeune Crocus si handicapé, proposèrent de lui tenir compagnie. Ce dernier refusa, déclarant qu’il resterait à la maison à écouter le colonel Staphysagria et le grand-père Crocus évoquer le passé, et qu’ils devaient tous sortir sans lui.

Une fois tout le monde parti, Mme Crocus entreprit de remettre de l’ordre. Elle n’avait pas terminé quand, jetant un coup d’œil par la fenêtre, elle vit l’une de ses filles revenir vers la maison en courant à toutes jambes. L’enfant se précipita dans la pièce et tomba évanouie aux pieds de sa mère. A peine eut-elle retrouvé ses esprits qu’elle fit une crise d’hystérie, laissant Mme Crocus se demander ce qui avait bien pu se passer. Après avoir commencé par embrasser et câliner sa fille, elle se mit à crier et la gronder, avant de parvenir finalement à la calmer suffisamment pour que la petite réussisse à s’expliquer.

L’enfant annonça alors à sa mère une terrible nouvelle : elle avait avalé une grenouille. Quand cela était arrivé, elle n’en savait rien, mais elle la sentait sauter dans son estomac. L’espace d’un instant, Mme Crocus fut furieuse qu’on ait fait une telle histoire pour rien. L’instant d’après, elle fut toute triste d’apprendre qu’un nouveau membre de la famille connaissait la sensation si pénible d’avoir quelque chose qui vous sautait partout dans le corps. Toutefois, elle n’eut pas le temps de s’appesantir car la petite troupe des promeneurs rentrait, chargée de branchages. Agaricus et les Crocus, qui s’étaient gelé les pieds, avaient des engelures et se plaignaient d’avoir les orteils qui fourmillaient.

Une fois toutes les pièces décorées, les garçons Crocus, qui avaient toujours été amateurs de grand air, proposèrent une partie de football américain. Ne connaissant pas suffisamment ce sport, je me garderai de le décrire. Mais bref, tout se passa bien jusqu’au moment où ils se jetèrent tous en tas sur le ballon. Quand ils émergèrent de la mêlée, Platinum, Belladonna et les petits Crocus souffraient d’épistaxis. Le sang de Platinum, noir, était tout coagulé. Le sang de Belladonna était rouge vif et chaud, celui des Crocus dégoulinait en filets noirâtres. Tous se mirent à rire comme si de rien n’était, mais ils eurent beau faire les bravaches cela n’empêcha pas de grosses gouttes de transpiration froide de se former sur le front des Crocus qui perdirent connaissance. Tandis que Mme Crocus s’affairait, tentant de remettre les garçons à peu près d’aplomb, elle s’aperçut que ses fils n’arrêtaient pas de se gratter, tantôt ici, tantôt là, comme s’ils avaient des démangeaisons sur tout le corps. Quand elle écarta leurs vêtements pour voir de quoi il retournait, quelle ne fut pas sa surprise de constater que le corps de chacun d’entre eux était couvert d’une rougeur écarlate. Le point fort de Mme Crocus était de prendre des décisions rapides - même si elle devait en changer tout aussi rapidement. Aussi expédia-t-elle illico sa progéniture au lit avant de faire rentrer mari et invités. Après quoi, elle appela le docteur, tout en espérant que ce Noël familial n’allait pas marquer le début d’une épidémie de scarlatine dans la ville.
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