Ipéca chronique – Edouard Broussalian

Dans Médicaments by Adolph LippeLaisser un commentaire

Comme chacun sait, au moins depuis l’exposé du Dr. Beau, Ipeca est un immense remède aigu, tant digestif que respiratoire pour ne citer que ces deux points d’action. Si l’on étudie les matières médicales, on ne trouvera aucune observation dans laquelle Ipeca a été indiqué sur une pathologie chronique. Pourtant cette facette du remède est bien réelle comme me le prouvent maintenant de nombreux cas.

 

Quelques symptômes en guise d’entrée en matière

 

Je voudrais pour commencer vous citer une petite liste de symptômes extraits du répertoire qui permettent d’évoquer une action chronique du remède.

TETE: Fontanelles, ouvertes (2)#2 6072. Le Dr. Schmidt cite ce symptôme dans les Cahiers du Groupement Hahnemannien comme lui ayant permis de prescrire Ipeca avec succès. C’est un signe très fiable, que l’on rencontre rarement mais qui peut être considéré comme pathognomonique d’Ipeca lorsque en plus le bébé présente un aspect floride “sulfurien”.

DENTS: Caries, dents creuses, etc. (1)#11 24. Evidemment je n’ai pas encore pu soigner de caries avec un médicament homéopathique. et je n’essaierai même pas, ce genre de rubrique clinique permet d’orienter le diagnostic d’un remède. Par exemple si l’on a le choix entre deux remèdes et que seul l’un d’entre eux présente nettement des caries et que le malade aussi, on peut faire un diagnostic différentiel.

RESPIRATION: Asthme, éruptions, suite de suppression d’ (2)#28 76. Cette rubrique très importante en pratique donne une idée de l’action antipsorique du remède. En fait, on peut considérer Ipeca comme un Sulphur végétal, ceci nous donnera une des clés de l’action chronique du remède.

MEMBRES: Ulcères, mbres inf (1,1)#33 17154. Même un antipsorique peut présenter des ulcères, il n’est pas besoin pour cela d’appartenir à la lignée luétique. Je ne cite cette rubrique que pour l’anecdote.

GENITAUX FEMININS: Prolapsus, utérus (2)#25 1236. Bien sûr, Ipeca n’est pas le premier remède auquel on pense mais il faut aussi penser à le chercher devant un femme qui a des règles très abondantes, dont le prolapsus est < après les règles, et qui présente d’autres signes d’intolérance à la chaleur pouvant faire évoquer Sulph, mais avec une acuité de l’odorat ou une tendance à se trouver mal ou encore une grande fragilité digestive qui doit faire donner Ip avant tout.

Règles, précoces, avant l’âge normal (1)#25 1457. On utilisera surtout cette rubrique chez les filles qui ont des règles hémorragiques et précoces, avec le cortège des signes digestifs d’Ipeca, mais je présume que d’autres tableaux peuvent se rencontrer. A travers ces quelques exemples, vous devrez changer votre point de vue sur ce remède que l’on a décrit trop souvent comme exclusivement indiqué en aigu. C’est un sort que Ipeca partage hélas avec Aconit et Belladona pour ne citer qu’eux.

Pour rester pragmatique une fois de plus, je vous propose de scinder deux grandes sphères d’action chronique, que l’avenir risque de compléter si nous avons plus d’observations.

 

Les suites de contrariété ou d’indignation

 

Si on consulte Hering, on trouve une petite liste de signes mentaux qui ont tous à voir avec l’impatience, l’irritabilité qui pousse à tout mépriser, l’humeur morose qui donne envie au malade de mettre tout le monde dans son état, d’inciter tout le monde à ne rien apprécier. Dans le répertoire ceci se traduit par les rubriques Hautain, Critiquer, Mécontent de tout, Méprisant de tout, Moqueur, Opposé, Querelleur, et j’en passe.

Si l’on peut retenir que le malade est irritable, il y a tout de même un signe, un seul signe, très valorisé par Hering, avec deux barres grasses :  Affections suite de contrariété ou de colère contenue.

Kent ne cite à l’origine Ipeca que dans les rubriques suite de colère avec indignation (1) et suite de colère (3). Après le Dr. Schmidt qui a ajouté le remède dans la rubrique Chagrin silencieux, j’ai ajouté Ip dans la rubrique Colère avec mécontentement retenu. A l’avenir je pense qu’il sera plus logique de mixer cette dernière rubrique avec Colère refoulée.

    • La parenté avec Sulph en tant que Sulphur végétal nous fait évoquer ici un autre géant qu’est Nux vomica. Les deux remèdes vont bien avant Sulphur mais Nux vomica explose ses colères, alors qu’Ipeca va les refouler, voilà une nuance de taille. Les deux remèdes sont fragiles sur le plan digestif. Nux aime le gras, alors que Ipeca est < par le gras et présente une aversion. Ipeca présente toutes sortes de signes digestifs (dérangement d’estomac, diarrhée, etc.) après une contrariété tout comme Nux, mais ce dernier peut aussi se trouver perturbé suite de surmenage intellectuel ou juste parce qu’il s’est excité.
    • Un autre champion de la colère refoulée mérite lui aussi d’être évoqué, d’autant qu’on peut le considérer lui même comme un super Nux vomica, c’est Sepia. Un point rapproche beaucoup les deux remède c’est la tendance à l’herpès. Même si de façon typique Ipeca fait de l’herpès au poignet, il faut savoir que l’un comme l’autre font de l’herpès labial. Il faudra donc spécialement rechercher l’indication d’Ipeca dans l’herpès qui survient après une forte contrariété (vrel de 1 point). Il faut toujours se souvenir que Ipeca présente des modalités comme celles de Sulphur, et donc opposées à celles de Sepia (bien sûr ceci n’a rien d’absolu, je vous déconseille d’utiliser cela comme signe éliminateur). Sur le plan alimentaire, il faut se rappeler que Sepia est < par le lait, a horreur du lait, etc. alors que Ipeca est < par les choses grasses.

Pour en revenir au refoulement et à l’indignation voici quelques rubriques choisies:

PSYCHISME: Chagrin, affections suite de (1)#0 687, silencieux (1,1)#0 695. Colère, affections après colère, contrariété, etc. (3)#0 740, indignation, avec (1)#0 743, mécontentement retenu, avec (2)#0 771. Indignation, affections suite d’ (1)#0 3432. Méprisé, affections après avoir été (1)#0 3936.

ESTOMAC: Dérangement d’estomac, contrariété, après (2)#14 424. Indigestion, contrariété, après (3/3)#14 2271. Nausée, contrariété, après (1)#14 2512. Vomissements, contrariété, après (2)#14 3271.

RECTUM: Diarrhée, indignation, suite d’ (2/3)#16 451, surexcitation, suite d’ (1)#16 547.

GENERALITES: Convulsions, contrariété, après (2)#40 833.

Je ne vais pas développer ici les remèdes de l’indignation, le Dr. Frédéric Schmitt ayant déjà traité exhaustivement le sujet, pour me contenter de vous donner les signes spécifiques de l’indignation d’Ipéca.

Cette spécificité d’Ipéca provient encore une fois de son action digestive : on trouve toujours la nausée au propre ou au figuré, le diarrhée, la sensibilité aux odeurs qui soulèvent le cour, les ballonnements, la mauvaise digestion.

Il faut apprendre à traquer les expressions caractéristiques employées par les malades : ça me dégoûte ; ça me reste sur l’estomac.

Sur Planète Homéo un de nos confrères avait écrit pour nous faire part de sa détresse à l’occasion d’une mésaventure avec les sbires de la SS (personnellement je trouve ces deux lettres très révélatrices) qui venaient lui extorquer de l’argent. J’extrais de sa lettre et je souligne les passages qui nous intéressent ici :

“J’étais en face de lui, stupéfait, abasourdi, je me retenais pour ne pas passer dessus son bureau. Il m’avait balancé dans un autre monde et l’espace de quelques secondes je me remémorais des passages du livre : la SS ce grand mal français de REICHMAN, ou des médecins dans les griffes de la SS avaient tout perdu. Une voix me fit sortir de ma torpeur “Docteur, avez vous des questions à me poser? Je suis ouvert à tout dialogue”. Ma matière grise se mit en branle et j’en arrivais à la conclusion que j’aurais toujours tort et qu’il valait mieux arrêter là les frais, aussi je le priais instamment d’appeler sa secrétaire pour rédiger le procès verbal. Je le voyais tout heureux de ma décision aussi rapide tel un patron qui vient de décrocher un gros contrat; et il se mit à parler: et du docteur par ci et du docteur par la.

“Et au fait docteur êtes-vous médecin référent?”. L’hypocrite! Comme si lui le Patron il ne savait pas que R. n’était pas référent. Et de m’expliquer les avantages et patati et patala. . . Je lui répondis que j’étais médecin, point final.

Signature du PV avec étalements à ma demande sur dix mois et je serrais la paluche du Patron. Je me précipitais vers les toilettes pour me laver les mains et pourtant je ne suis pas un Syphilinum, mais j’étais écoeuré et j’étouffais de m’être contenu. Il m’avait testé et je n’étais pas tombé dans le panneau.”

 

Notre ami a donc pris Ipeca XM qui lui a fait le plus grand bien. Peu à peu le tableau s’est ensuite décanté en direction de Sulph, ce qui n’est certainement pas un hasard.

Voici un second cas clinique, qui est lui aussi typique du remède. En Novembre 96, je vois Mme P, 40 ans, qui consulte pour un état dépressif qui dure depuis 2 ans, associé à toutes sortes de troubles mais surtout des diarrhées épouvantables.

Depuis Août 94 elle est sous Anafranil, elle a commencé par des perfusions à l’époque, et au moment où elle consulte elle prend 10 mg / j et ne parvient pas à arrêter ce médicament.

Après son premier enfant, elle a eu de nombreux troubles gynécologiques, certainement suite à sa déchirure du périnée. Les rapports sont devenus rares. Au bout d’un moment elle s’est rendu compte que le comportement de son mari, de plus en plus agressif cachait quelque chose. Quand il a fini par lui expliquer qu’il avait quelqu’un elle dit “c’est la chose qui m’a le plus bouleversée dans ma vie, j’en ai énormément souffert”. Néanmoins, la situation devenant intenable pour elle, elle prend la décision de partir et arrive à Annecy.

A ce moment, elle qui avait toujours eu facilement de la diarrhée, se met à avoir des selles très fréquentes, qui finissent par la pousser à prendre 10 ou 20 Imodium par jour. Elle commence à avoir aussi des vomissements, qui vont en s’aggravant. Elle vomit presque toutes les demi heures, avec des spasmes épouvantables et commence à maigrir. Elle est désespérée, et dit qu’elle voulait se tuer. Devant ce tableau, elle est hospitalisée, bilantée, avec une coloscopie qui ne retrouve pas grand chose. A force de traitement symptomatique, les choses finissent par rentrer à peu près dans l’ordre, mais elle reste sujette aux diarrhées et à la nausée.

Son ventre est très souvent gonflé et ballonné surtout si elle mange des aliments sucrés. Cette intolérance pour le sucré est très marquée chez elle.

Elle ne supporte pas d’être dans une pièce chauffée, elle a besoin d’air, elle dort les fenêtres ouvertes. La nuit, il lui arrive souvent d’avoir chaud sous ses draps et de sortir les pieds du lit.

Ip 200 va transformer radicalement le tableau après quelques jours d’angoisse intense. Tous les symptômes rentrent dans l’ordre : le moral, le tableau digestif, les diarrhées, etc. Après être monté à M, elle continue de se porter très bien sans le moindre médicament, elle digère tout, et a des selles normales. Les modalités indiquent toujours Sulphur que je n’ai pas encore donné faute de casus belli.

En tant que substitut de Sulphur

L’autre grande indication chronique se trouve chez les bébés dont Ipeca est un grand ami. Si vous ne pensez pas à Ipeca, vous donnerez Sulph qui ne fera rien alors qu’il vous semblait magnifiquement indiqué, ou bien qui procurera des aggravations et des nouveaux symptômes sans
améliorer le malade.

Ce rapprochement entre Ipeca et Sulphur n’est plus à prouver. Il suffit de consulter les rubriques

RESPIRATION: Asthme, éruptions, suite de suppression d’ (2)#28 76. Dyspnée, chaleur, pièce chaude, agg dans une (1)#28 357, ouvrir portes et fenêtres, réclame d’ (2)#28 494.

GENERALITES: Aliments, gras, agg (2)#40 235. Convulsions, contrariété, après (2)#40 833, éruption, supprimée ou qui n’apparaît pas (2)#40 889. Evanouissements, chaleur, été, par la chaleur d’ (2)#40 1577, pièce, confinée, dans une (1)#40 1750.

Vous verrez aussi que ces deux remèdes partagent les mêmes modalités, à savoir < par la chaleur.

    • Ici, Ipeca pousse encore plus loin que Sulph l’intolérance à la chaleur d’été en s’évanouissant, c’est un remède qui a beaucoup de lipothymies. Le seul remède à étudier de près est alors Antimonium crudum. La différence entre ces deux classiques est facile à faire. Pour ce qui est des troubles digestifs, il faut se rappeler qu’Ant-c est < par les acides, et le lait alors que Ip est < par le gras (graisses, porc, crème glacée), les fruits, les sucreries. Le malade Antimonium qui s’est gavé d’aliments ressent souvent la nausée dans la gorge, alors que celle d’Ip est plus “classique” en ce sens qu’elle est ressentie au ventre ou à l’estomac, tout en pouvant être très intense et monter jusque dans la bouche. Les troubles digestifs d’Ipeca sont hautement sous dépendance du psychisme (il faut se souvenir de son action sur le vague), alors que ceux d’Ant-c surviennent souvent l’été après avoir pris froid ou bu froid alors qu’on avait très chaud.

Pour en revenir à notre bébé Ipeca, il a un aspect qui évoque bien Sulphur : il est rieur dès le matin, même s’il a des éruptions qui le gênent ou qu’il est malade. Il a des selles qui sent très fort, ou une transpiration des pieds déjà malodorante, un très bon appétit.

On nous l’amène souvent pour des otites ou des bronchites à répétition, et on retiendra dans les antécédents une tendance à vomir très facilement, peut être pas un reflux comme dans Lyc (qui a de l’acné, qui râle tout le temps, fronce les sourcils, a des histoires d’ictère), mais bien des vomissements souvent < par la moindre contrariété.

La nuance subtile entre colère et contrariété réside dans le fait que la contrariété est un mécontentement plus ou moins retenu, alors que la colère est quelque chose d’explosé.

Si en plus de ce tableau, l’enfant met les doigts dans la bouche, parfois même tout le poing (Hering), il n’y a plus à tergiverser, seul Ipeca convient.

Chez le grand enfant, il arrive d’observer un tableau Sulfur et d’avoir la notion ancienne de vomissements fréquents.

Je ne vous cite pas de cas clinique pour éviter d’allonger inutilement, il vous suffit de retenir le tableau ci-dessus et de bien penser à Ipeca devant un bébé vomisseur d’allure Sulphur.

Conclusion

On voit trop souvent des prescriptions abusives de Sulfur iodatum, qui est un immense polychreste d’action très profonde, pour “éviter” de prescrire Sulphur directement. Cette façon de faire me semble tout à fait fallacieuse.

La notion de complémentarité entre les remèdes nous indique une voie bien plus sûre. Ainsi on sait que Sulphur est entouré de satellites comme Nux vomica, Aloe, Ipeca.

D’autre part l’expérience montre que ces remèdes végétaux ont une action souvent plus douce et permettent d’amener tout naturellement le cas à se décanter en direction du remède profond, en l’occurrence Sulphur.

Une autre notion erronée colportée dans bien des livres consiste à dire que tel remède n’a qu’une action aiguë. Ceci est parfaitement faux, un remède dit chronique peut très bien être indiqué en situation aiguë tout comme un remède aigu peut s’adapter au chronique.

J’ai de nombreux cas où Ipeca a très bien agi sur l’ensemble des symptômes chroniques sans avoir eu besoin (à ce jour) de compléter avec Sulphur.

 

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