ETERNELLES DERIVES
De plus en plus indigné par l’incurie des prescriptions soi-disant homéopathiques, j’ai cherché une piste de réflexion pour échapper à la simple réprobation qui finit par devenir usante au bout de 30 années de pratique. Puisqu’il ne sert visiblement pas à grand chose de protester, au moins pourrions-nous tâcher de comprendre les origines d’une plaie qui s’avère être générale dans le domaine des sciences en général et de la médecine en particulier. Nous verrons en conclusion la signification du titre de l’article.
Le manque cruel d’éducation homéopathique et médicale représente un point commun à toutes ces dérives ectoplasmiques que nous dénonçons depuis tant d’années. Que signifie « éducation homéopathique » ? C’est l’étude approfondie des aphorismes de l’Organon, tel que Hahnemann l’a fait mûrir en 55 ans de recherches et de réflexions ininterrompues (notre maître veillait encore une nuit sur deux jusqu’à sa mort).[1]
Une ETRANGE cécité
La lucidité que chaque praticien devrait avoir sur son propre compte devrait tous les amener à se poser une toute simple question, et cela est vrai pour les allopathes, les homéopathes : les résultats sont-ils au rendez-vous ? Je veux dire par là que nous les hahnemanniens –puisqu’il faut nous donner un nom– sommes chaque année plus enthousiastes dans notre pratique car nos progrès ne cessent jamais tandis que nous obtenons toujours plus de guérisons demandant de moins en moins de temps de réflexion à la recherche du médicament indiqué, et traitons avec succès des pathologies que nous aurions crues jusqu’alors incurables.
C’est juste le contraire de la médecine classique, où chaque année accroît le sentiment d’impuissance et d’inutilité, pour finir par se reconvertir dans la politique en ce qui concerne les mieux lotis. Et c’est le même sentiment qui prévaut chez tous ceux qui au nom de l’homéopathie pratiquent ces dérives et courent d’un stage à l’autre.
Dans notre cabinet, depuis le début de notre installation voici 30 ans, nous sommes confrontés à un flot de patients déçus, mécontents, qui continuent de souffrir depuis des années après avoir consulté en vain tous les spécialistes les plus éminents et subi tous les examens et traitements possibles. Cette déception des patients n’apparaît pas de prime abord aux médecins ayant une pratique hospitalière puisque l’attention est focalisée sur le point qu’on s’acharne à traiter. Les patients sont donc renvoyés chez eux et on n’en entend plus parler, ce qui est bien pratique…
Ces gens (c’est à dire bientôt la quasi-totalité des patients atteints d’une maladie chronique) se tournent alors vers « l’alternatif ». C’est un véritable parcours du combattant qui les attend avant de finir entre les « pattes » d’un « homéopathe » qui va littéralement les trimballer des années durant. Quelques-uns vont comprendre avant leur médecin supposément homéopathe que quelque chose ne va pas dans ce qui leur est proposé, « c’est holistique mais vous me donnez plein de médicaments », « il me demande ce que je voudrais qu’on soigne », etc. Les rares qui entendent parler de l’homéopathie véritable finissent chez les hahnemanniens en dernier recours. La plupart du temps l’histoire est la même : entretiens interminables, prescription de bizarreries, c’est à dire de médicaments hautement improbables et ne disposant d’aucune expérimentation (lait de divers mammifères, plumes d’oiseaux, lanthanides et autres terres rares, dent de tyrannosaure (sic), excréments, fossiles, etc.). Comble de l’incompétence, le prescripteur change de médicament à chaque consultation (commettant ainsi la faute la plus élémentaire en homéopathie qui consiste à changer trop vite), avec un recours quasi-systématique à l’allopathie (notamment au moindre épisode aigu) puisque « ça ne fonctionne pas. »
Assemblons maintenant ces faits évidents :
- Nous avons des prescripteurs qui constatent inexorablement, chaque jour de leur pratique, que leur pratique ne donne aucun résultat ou presque, mais ils s’acharnent dans la même direction.
- Leur prescription est justifiée par l’adhésion à des théories qui ont toutes un point commun, celui de n’avoir aucun fondement scientifique. Citons les plus en vogue actuellement avec le nom de leur inventeur :
- Thérapie séquentielle (Elmiger)
- Méthode des sensations (Sankaran)
- Tableau périodique (Scholten)
La poursuite des exigences de la théorie à laquelle ils adhèrent est si prégnante qu’il n’existe plus chez eux la critique nécessaire à l’évaluation de tout acte que nous exécutons dans la vie courante (faire cuire un œuf, se laver, etc.). Un siècle auparavant, il se serait agi de l’isothérapie, gemmothérapie, des sels de Schüssler, etc…
Un état qui confine au fanatisme
Alain a écrit « Il y a quelque chose de mécanique dans une pensée fanatique, car elle revient toujours par les mêmes chemins. Elle ne cherche plus, elle n’invente plus. Le dogmatisme est comme un délire récitant. Il y manque cette pointe de diamant, le doute, qui creuse toujours. »[2]
Bien sûr, nous homéopathes n’avons jamais caché notre enthousiasme, notre passion, mais cet état émotionnel provient de nos guérisons, c’est à dire de la confrontation entre les résultats cliniques et ce que nous comprenons de la doctrine homéopathique, que nous revisitons sans cesse.
La différence avec le fondamentalisme c’est que celui-ci est enthousiaste pour une idée, et que la réalité est dès lors subrogée à la mise en application de ce qui devient un dogme. La confrontation avec la réalité est de plus en plus difficile et nous sommes bien en présence de deux ingrédients majeurs du fanatisme :
- Le clivage mental : les faits, les résultats ne sont plus regardés, seul compte l’accomplissement de la théorie tenue pour « juste » à tout prix.
- La croyance : faute de sanction par les faits, nous sommes devant une croyance qui ne représente plus l’adhésion rationnelle à un corpus d’idées, ou de démonstrations logiques.
En un mot, nous sommes de moins en moins en présence d’un médecin chez qui le pragmatisme doit toujours l’emporter, mais devant l’exaltation d’une idée qui semble emplir et illuminer le prescripteur de par la supposée compréhension du monde et des êtres qu’elle lui procure. Combien de malheureux ne confondent-ils pas ainsi homéopathie et spiritualité ? Et encore, il faut se faire violence pour appeler spiritualité un embryon d’élucubrations mystico-gélatineuses.
La philosophie, notre planche de salut
Comment se prémunir de telles errances ? La réponse me paraît univoque : philosopher, puisque la philosophie se définit comme une démarche de réflexion sur les savoirs disponibles. Or c’est exactement ce que propose Hahnemann dans le voyage qu’il nous fait entreprendre avec l’Organon où près de 300 aphorismes lui sont nécessaires pour établir un tableau général de la médecine, de l’homéopathie, et de la manière de l’appliquer.[3] Les 70 premiers aphorismes représentent le noyau dur de l’homéopathie sous la forme d’analyse, de définition, de création et de méditation sur les concepts qui fondent le nouveau paradigme.
On peut identifier dès lors l’un des vices fondamentaux de l’homéopathie (depuis ses débuts), c’est qu’on n’enseigne jamais[4] les découvertes et les raisonnements de Hahnemann, les étudiants étant laissés pour compte dans l’apprentissage de ce qui se réduit à une simple technique, sans en comprendre les fondements qui établissent son aspect révolutionnaire. Seule la maîtrise de la philosophie homéopathique, de préférence étoffée par une large dose d’épistémologie (Karl Popper), apporte les perspectives nécessaires à la pratique clinique et à l’auto-évaluation des résultats.
Dictature des techniciens et des scientistes
Ce malheur n’est pas réservé à la seule homéopathie, c’est même une marque de fabrique de tout l’enseignement supérieur, et j’y inclus bien entendu les grandes écoles supposées former nos « élites. » En effet, une telle carence conduit à fabriquer des techniciens comme les facultés scientifiques standard (de médecine, biologie ou autre) en forment des dizaines de milliers chaque année. Techniciens eux-mêmes emplis d’une autre forme de fanatisme, ne faisant que dégorger les idées matérialistes et réductionnistes qui leur ont été enseignées.
Un très bel article paru dans The Week[5], « Why are so many scientists ignorants ? » développe et souligne les idées développées ici. Nous y apprenons que bien des grosses pointures, Stephen Hawking compris, sont aussi catégoriques que complètements ignorants dans le domaine de la philosophie. Pour ces hommes de science, celle-ci est en grande partie inutile car ne pouvant pas nous donner le genre de réponses « certaines » que seule la science peut nous apporter, et la philosophie ne s’apparente à rien d’autre que de la spéculation. Oser parler en science de « réponses certaines » est hélas un propos de niveau maternelle et suscite un juste étonnement. Les brillants auteurs tout à leur méconnaissance des remarquables travaux de Hume, et bien sûr de Karl Popper dans l’épistémologie, ne réalisant même pas que prétendre que la philosophie est inutile c’est justement faire de la philosophie.
Et l’auteur de conclure que beaucoup de ces messieurs clament haut et fort un athéisme public en proclamant que la matière est la seule chose qui existe. Leur position étant basée sur le scientisme, ou si l’on préfère, la notion que les choses ne sont connaissables que par la science.
David Bentley Hart[6] constate que tous ces gens ont en commun un refus obstiné de penser. « Le fondamentaliste n’est pas celui dont les idées sont trop simples ou trop brutes, mais c’est celui qui refuse obstinément de penser soit par d’autres idées, soit ces idées elles-mêmes. »
La « pensée » fondamentaliste
Les effets néfastes de cette pensée fanatique sont peu importants dès lors qu’il s’agit de science pure, ou si l’on reste éloigné de l’humain. Dans le cas contraire (médecine, politique, société, religion), les effets sont démultipliés, et c’est bien logique puisque toute la société est bâtie sur des choix philosophiques. C’est dire les ravages dans une société quand par exemple l’exécutif ne cherche qu’à appliquer une idéologie, au mépris de toute réalité.
Rester un pur technicien en décrivant l’entropie des trous noirs (Hawking), un pur mathématicien en résolvant la conjecture de Poincaré (Perelman), n’affecte personne ou presque. La fermeture d’esprit, qu’on l’appelle fondamentalisme, ou prélude de fanatisme, produit les pires effets en médecine où chaque membre d’une secte différente va s’efforcer d’appliquer sur les gens les préceptes qu’on lui a inculqués, sans les remettre en cause, ni les discuter à l’aune de la raison.
Mais revenons à notre sujet et prenons ainsi le simple allopathe fraîchement émoulu de la faculté de médecine. Comme dans toute organisation de formatage, on l’a littéralement dressé à ne rien penser par lui même, en allant jusqu’à lui enseigner que l’opinion individuelle ne vaut rien et que seules comptent les statistiques. Un germe de rébellion pourra pointer quand notre étudiant commencera à se frotter à la réalité du monde des patients. Peut être finira-t-il par se rendre compte qu’on applique aux gens des statistiques qui originellement portaient sur des graines toutes semblables alors que ce ne peut pas être le cas des malades tous différents entre eux. En allant plus loin il se demandera comment croire des statistiques produites par une industrie qui génère des milliards. Puis un jour il réalisera peut-être que tout l’édifice est vermoulu puisqu’on traite arbitrairement des symptômes isolés alors que tout patient présente un ensemble précis de symptômes, seul reflet indirect de toute une économie déréglée. Mais de la même manière que nous avons eu 1 résistant pour 100.000 collaborateurs, combien auront le courage de changer ? N’est-il pas plus confortable de rester dans le statu quo en se disant, « c’est moche mais c’est mon gagne pain ? »
Les moins philosophes et sans doute les plus copains avec le vrai pouvoir, deviendront volontiers les plus zélés. Qui se souvent des noms des pourfendeurs de l’homéopathie ? Déjà recouverts du linceul de l’oubli, ils ressortent pourtant sporadiquement de leurs sépulcres hanter les médias. Idiots utiles ou laquais de l’industrie, ils sont utilisés comme des épouvantails quand malgré le faible nombre d’homéopathes compétents, trop de gens ne consomment plus assez.
La manipulation mentale
Ces coryphées de l’allopathie triomphante nous resservent alors les même vieilles ficelles de la manipulation mentale :
- Répétition du message
- Focalisation sur un point de détail
- Abstraction du contexte.
Réciproquement vous observerez que c’est la même manipulation utilisée pour glorifier la médecine actuelle, secouée périodiquement par des retentissantes découvertes, ou la sortie de nouveaux produits tant attendus.
Nous sommes ici exactement aux antipodes de la philosophie qui cherche à avoir l’horizon le plus large possible. Répétez n’importe quoi en boucle, relayez-le à travers des millions d’écrans et les victimes à l’autre bout finiront par le croire. Focalisez-vous sur ce qui peut heurter le plus : « les homéopathes sont des fous ils donnent des médicaments démontrés scientifiquement vides. » Sortez ceci du contexte des 300 aphorismes de l’Organon pour réduire l’ensemble de l’édifice homéopathique à cette seule déclaration. Et vous y êtes !
A la décharge de ces Messieurs, il faut admettre qu’il y a largement de quoi dénoncer dans l’homéopathie telle qu’on la voit souvent pratiquée. Mais après avoir tout fait depuis un siècle pour en empêcher l’enseignement, faut-il s’étonner que nombre de charlatans s’en saisissent ? Et par ailleurs, si les patients étaient satisfaits des soins officiels encensés par la propagande officielle, se précipiteraient-ils en masse vers tout ce qui est différent ? Sauf à vivre dans un environnement aseptisé et déconnecté du réel comme un service hospitaliser, la simple écoute des patients révèle leur ras le bol grandissant de l’ancienne médecine, de plus en plus abhorrée.
[1] Vous noterez que ma demande n’a rien d’exceptionnel : comme dans toute branche de la science il conviendrait d’apprendre ce que vos prédécesseurs ont découvert avant de s’estimer en mesure de progresser seul.
[2] Alain, Propos sur les philosophes, p. 37. Editions PUF.
[3] Les conférences de Kent sur le sujet sont intitulées « Homoeopathic Philosophy ». Ma propre publication du premier volume « Principes de la nouvelle médecine » représente le commentaire des 70 premiers aphorismes en 400 pages. Le second volume « Pratique de la nouvelle médecine » en fera 800.
[4] C’est pour combler ce vide que j’ai créé Planète Homéo, la seule école à ma connaissance où tout l’enseignement est uniquement basé sur le 6ème Organon (que j’ai entièrement retraduit), enseigné et commenté du début à la fin. J’ai la fierté d’assister à l’éclosion d’une véritable pépinière de véritables homéopathes. Enfin, la donne risque de changer.
[5] http://theweek.com/articles/610948/why-many-scientists-are-ignorant
[6] Bentley Hart, auteur prolifique passionnant a écrit entre autres : « The Atheist Delusions », « The beauty of infinite », « God »
Commentaires
Magnifique article. Je vais m’empresser de lire les deux suivants.
Philosophe par “nature”, j’ai toujours pensé que la réflexion philosophique devait précéder et accompagner toute activité scientifique digne de ce nom. Science est inséparable de conscience, et dès que l’on oublie ce principe de base, on ne contrôle plus rien.
Ceci est vrai dans tous les domaines. En tant que linguiste, j’ai toujours pensé et clamé que l’étude du langage ne saurait faire l’économie d’une philosophie du langage, faute de quoi, toute étude non holistique ne peut donner que des résultats tronqués, partiels, et bien souvent partiaux.
Il en va de même de la médecine. Je suis ravi de constater que je partage l’approche de planète-homéopathie.
Un grand merci.