Par Edouard Broussalian, cours PH du 18 Mars 2010
Les symptômes, toujours les symptômes et rien que les symptômes !
Je ne cesse de répéter que nous vivons une période cruelle de décadence, probablement généralisée mais qui trouve son écho particulièrement dans l’homéopathie.
A mesure que le nombre de médecins homéopathes a diminué à cause des succès amenés par l’apparente facilité de prescription de la médecine pétrochimique, on a vu grandir le nombre de laïcs intéressés par l’homéopathie et qui prétendent être « homéopathes ».
J’ai pu voir en Haïti ce que cela donne en pratique : il y a un monde entre un cabinet confortable où l’on pose toutes sortes de questions à des patients chroniques et la réalité du terrain où il faut traiter plus de cent personnes par jour. Curieusement ces « homéopathes » une fois confrontés à la clinique n’ont jamais voulu retourner dans les rues !
Pour continuer de dire clairement ce que je pense :
1- La médecine, comme la République, est une et indivisible. Elle ne peut pas se réduire à la seule thérapeutique. Et il est clair qu’il faut être médecin et connaître les maladies avant d’approcher le moindre patient. Autrement, oser demander ce que c’est qu’un ozène, une insuffisance ventriculaire gauche, un OAP, ou le Méthotrexate
2- A part quelques passionnés qui méritent alors mieux que les vrais diplômés le titre de médecin, la plupart de ces laïcs, certes bardés de bonnes intentions, sont d’une incurie crasse. Ceci risque de faire sombrer l’homéopathie parce que :
- –sans culture médicale, en encore moins philosophique, ces personnes sont la proie des faiseurs de système qui leur présentent toutes sortes d’élucubrations sous forme du « dernier cri » de l’homéopathie
- –leurs consultations longues ne sont souvent, au vu de leur méconnaissance des principes de l’homéopathie, rien d’autre que de la psychothérapie mal conduite.
3- Enfin, au sein même de la médecine, l’homéopathie semble recruter des personnes au profil non adapté, dont le mal-être fait confondre développement personnel et homéopathie. Ici aussi à force de perdre le contact avec les affections aiguës, on devient très attiré par les élucubrations philosophico systémiques des Sankaran et autres Masi. Tout ceci ressemble de plus en plus à la médecine de Molière, où les gens s’échangent de “doctes” propos sur des idées complètement fumeuses.
Ce long préambule étant dit, je voulais donc vous faire comprendre que le signe mental ultime permettant de qualifier un médicament n’existe pas plus que l’équation unique permettant de décrire tout l’univers. Cette recherche effrénée du « saint Graal » homéopathique n’a aucun sens et va à l’encontre des découvertes de Hahnemann qui unifient les signes du corps et de l’esprit.
La vérité est toujours très simple, à la portée de tout le monde, sans avoir besoin d’être rompu à des raisonnements accessibles aux seuls initiés. Hahnemann le dit en substance dans l’aphorisme suivant :
2. — L’idéal thérapeutique consiste à rétablir la santé d’une manière rapide, douce et permanente, à enlever et à détruire la maladie dans son intégralité, par la voie la plus courte, la plus sûre et la moins nuisible, cela d’après des principes clairs et intelligibles (*).
Le besoin de « faire compliqué » ou de rechercher des causes cachées est typiquement un aspect des personnalités de type Hyosciamus qui prolifèrent chez les « faiseurs de systèmes »!
Nous allons donc centrer cette petite étude des Loganiacées, un peu à la façon d’un Farrington, uniquement sur les signes et les symptômes, en n’établissant des rapprochements basés seulement sur les faits, et je l’espère sans la moindre spéculation.
Propriétés de la famille
On peut évoquer ici quelques ressemblances des propriétés des plantes de la famille des Loganiacées. Voici ce que dit Hahnemann au sujet d’Ignatia et de Nux-vomica :
« Bien que les effets d’Ignatia et de Nux vomica soient très proches (comme on pouvait le déduire du fait de leur parenté botanique) le tempérament des patients relevant d’Ignatia diffère de beaucoup de celui des patients auxquels Nux vomica sera utile. Ignatia ne convient pas aux patients chez lesquels la colère, l’impatience, ou la violence sont des sentiments qui prédominent, mais il conviendra à ceux qui sont sujets aux variations rapides d’humeur, passant de la gaieté à l’envie de pleurer. (…) Même à une dynamisation élevée, Ignatia est le principal remède en cas de contrariété chez les sujets qui ne sont pas prompts à se mettre violemment en colère, ou à se venger, mais qui intériorisent leur mécontentement ; chez lesquels on sait que le souvenir d’évènements contrariants reste profondément ancré dans leur esprit, et tout particulièrement dans des situations morbides dues à des suites de chagrins »
Le §5 et ses interprétations
Ceci renvoie au §5 de l’Organon où Hahnemann insiste sur la nécessité de connaître le tempérament de la personne à traiter.
5.— Lorsqu’il s’agit d’effectuer une guérison, le médecin doit utiliser tous les moyens possibles à sa disposition, afin de déterminer:
I. dans les maladies aiguës: la cause occasionnelle la plus vraisemblable;.
II. dans les maladies chroniques: les phases évolutives les plus significatives. Il pourra ainsi en découvrir l’origine, la cause profonde, fondamentale, le plus souvent une diathèse chronique (miasme).
En ceci il faudra tenir compte:— de la constitution physique du malade (surtout dans les affections chroniques),
— de son caractère moral et intellectuel,
— de ses occupations,
— de son genre de vie,
— de ses habitudes,
— de sa situation sociale,
— de ses relations de famille,
— de son âge,
— de sa vie sexuelle, etc…
C’est ici que je vous mets et remets en garde contre les interprétations en vue de créer des systèmes. Voici ce qu’écrit Sankaran après avoir fait la même citation de Hahnemann :
« Cette citation a été également mentionnée au début de ce livre. Elle est importante parce qu’elle nous indique qu’Hahnemann savait que les remèdes d’une même famille partagent des points communs. Il suggère que c’est dans la façon d’exprimer ce trait de caractère que réside la différence entre Ignatia amara et Nux vomica ; Nux vomica l’exprime d’une manière agressive, tandis qu’Ignatia amara le fait dans le silence et la retenue. C’est ce que nous avons compris. Les remèdes d’une même famille partagent une sensation commune. Ce sera l’aspect et l’intensité de la perception et de la réponse à cette sensation qui va individualiser l’expression de chaque remède. Pour Nux vomica, ce sera une réponse agressive, caractéristique du miasme Typhoïde, pour Ignatia amara, une réponse très contrôlée, typique du miasme Cancer »
Ici, de façon très arbitraire, Sankaran s’embarque dans la création de miasmes « ad hoc » alors que Hahnemann ne veut parler que de tempéraments différents. David Little souligne aussi une question fort embarrassante : combien de cancers ont été traités par Ignatia ? La réponse est simple : zéro cas dans toute la littérature à ma connaissance.
Une fois encore, chaque médicament possède de nombreuses nuances et convient à des miasmes différents, d’autant que Sankaran détourne la notion de miasme créée par Hahnemann. En effet, dans l’esprit du fondateur, un miasme signifie contagion par un agent invisible hostile à la vie. C’est tout à fait une idée de maladie infectieuse.
Les travaux récents du P. Montagnier qui réhabilitent Benveniste vont dans ce sens. On se rend compte que c’est le sérum des personnes traitées pour leur sida en parfaite rémission biologique, sans arn circulant dosable qui émet pourtant le plus de signaux électromagnétiques avec la signature du virus. Cette rémanence sous une autre forme avait été clairement pressentie par Hahnemann d’après son génie de l’observation clinique.
A partir de la notion de miasme infectieux, on s’est rendu compte qu’il existait un ensemble de symptômes particuliers caractérisant chaque grand miasme, et il fallait faire un pas de plus pour décrire les miasmes comme des modalités réactionnelles de l’organisme face à une agression chronique. On s’est ensuite empressé de passer sous silence le fait que ces réalités cliniques sont intimement corrélées avec un agent infectieux pathogène, pour n’en décrire que la sphère psychique.
Sankaran a besoin pour repérer la position d’un médicament dans un système à deux dimensions d’un axe des abscisses et des ordonnées. Ayant dégagé la fameuse sensation commune de la famille (aux contours toujours très flous comme nous l’apprend la phylogénie) il lui manque l’autre coordonnée. Ce sont les miasmes qui la lui fournissent. Au passage, la notion de miasme devient un vrai fourre-tout qui décrit surtout une adaptation du comportement plutôt qu’un problème infectieux. Pourquoi dans ces conditions se contenter de 12 miasmes ? On se retrouve bien étriqué pour rendre compte des propriétés des familles de plantes qui ont plus de 12 membres, et loin d’être l’exception c’est la règle d’avoir de très grandes familles de plantes.
Dans ces conditions c’est souvent une manifestation de pure folie que de prétendre tout organiser et ranger dans des cases arbitraires. En général ce sont les sujets Anacardium ou Hyosciamus qui ressentent ce besoin, et ils sont très nombreux dans notre profession.
Plutôt que des théories, je vous propose un tableau très simple pour résumer les ressemblances, ce sera plus utile en pratique :
Gelsemium | Nux vomica | Ignatia | |
Etiologie principale | Suite de peur : | Suite de colère | Suite de chagrin |
Anticipation | +++ | + | +++ |
Effets de l’excitation | Paralysie et tremblement | Contraction clonique | Contraction tonique |
Accablement | Extériorisation | Intériorisation | |
Couardise, s’enfuit | Impétuosité, monte à l’attaque | Courage, fait face avec dignité | |
Comportement | Evitement de toute situation embarrassante, sentiment de fragilité avec confusion mentale | Pragmatisme avec un accent particulier sur l’organisation et l’efficacité, pensées persistantes sur le travail à accomplir | Idéalisme et une délicatesse dans ses perceptions, culpabilité et ressassement |
Gelsemium
Nous allons étudier un médicament dont j’ai longtemps différé l’étude car c’est un véritable monument dont il s’agit, il est difficile d’être synthétique sans omettre des points particuliers toujours importants.
Gelsemium à lui tout seul convient à une multitude de maux, notamment ceux que crée une société de surmenage et de sur-stimulation. Il est fréquemment indiqué dans de nombreux cas aigus et on rencontre aussi de plus en plus de cas chroniques, comme le syndrome de fatigue chronique, certaines scléroses en plaques, etc.
La pédanterie moderne en homéopathie consiste à épater son auditoire en prescrivant des remèdes rarissimes pour démontrer sa soi-disant maîtrise de la matière médicale. Gelsemium nous prouve tous les jours l’insuffisance de nos connaissances et le fait qu’un bon homéopathe se doit d’abord de connaître parfaitement ses classiques. Donner Baryta sulfurica ou Falcon peregrinum alors qu’on rate des centaines de cas de Gelsemium relève d’un processus mental qui nous incite à réviser Les Précieuses Ridicules de Molière.
Un coup d’œil sur le Hering
Je me propose à travers notre étude de suivre tout simplement la démarche qui est la mienne lorsque j’étudie un médicament. Avant d’ouvrir le moindre ouvrage d’un auteur classique, je regarde toujours l’encyclopédie et je relève les signes qui me semblent marquants. C’est vraiment la même chose que lorsqu’un patient arrive devant vous. Qu’a-t-il d’unique ? Comment et en quoi se différentie-t-il des autres, de la multitude ?
Immobilité cataleptique, hébétude, torpeur, somnolence. Stupeur, ne peut ouvrir les yeux. Inconscience. Ceci nous donne la première image « brute » du médicament. Le patient semble « sonné », comme s’il était KO aussi bien au plan mental et peut-être émotionnel qu’au niveau des muscles périphériques. La première question qui se pose alors est « pourquoi un tel état ? ». La réponse nous est donnée partiellement par le symptôme suivant.
Après le décès de son fils, elle ressasse cette perte, perd parfois conscience, ou plutôt elle est plongée dans ses pensées ; elle s’imagine qu’elle est dans la tombe ; après cet accès, elle ressent une oppression thoracique étouffante. Le tableau prend maintenant plus de cohérence : on dirait que l’organisme est sonné après avoir été soumis à un choc intense qui semble paralyser l’esprit. Le cerveau reste capable de ruminer, ressasser en boucle, on reste stuporeux. La matière médicale parle d’accès. On pourra probablement voir Gelsemium indiqué dans des crises de mélancolie pouvant se produire de façon récurrente après un trop plein d’évènements qui ont créé un état de choc que l’organisme ne parvient plus à gérer.
Engourdissement des facultés mentales, engourdissement de l’esprit > après l’émission abondante d’urine aqueuse, incapacité à réfléchir, à fixer son attention, idées décousues, ne peut suivre longtemps son idée, s’il essaye de penser longtemps il est pris d’une douloureuse sensation de vide mental. Vous voyez pourquoi Gelsemium est précieux devant les situations capables de produire un tel état, en d’autres termes, le trac sous toutes ses formes. L’idée qui se dégage ici est bien plus générale qu’un simple trac d’examen ou de se produire en spectacle ou devant une assemblée, un juge, etc.
Le stimulus externe est tout simplement trop important pour l’organisme, qui ne parvient pas à le gérer et se retrouve paralysé. Nous avons tous des limites à encaisser les évènements. Les sujets très sensibles pourront avoir besoin constitutionnellement de Gelsemium, le moindre rien représente pour eux une épreuve, avec la panique, la paralysie, comme une proie devant son prédateur. Mais ce sera le même remède si vous devez sortir de votre tranchée et monter à l’assaut tandis que tout explose autour de vous.
En raison du fait que l’on suppose être devant une forme d’hypersensibilité, nous devrons donc trouver aussi dans Gelsemium beaucoup d’engourdissements, qui sont autant de signes réactionnels à trop de stimulation.
L’encyclopédie nous donne ici deux signes qui nous font sursauter parce vous ne les rencontrez pour ainsi dire nulle par ailleurs.
Que vient donc faire ici l’amélioration de l’état mental par l’élimination d’urines claires et abondantes ? C’est pour le moins inhabituel, donc caractéristique du remède. Cette keynote a servi un nombre incalculable de fois à prescrire avec succès Gelsemium.
L’autre signe bizarre ici est la sensation de vide quasiment douloureuse dans le cerveau en essayant de se concentrer. Le cerveau est dans un tel état de fatigue que cette sensation particulière est générée lorsqu’on essaye de le « faire fonctionner ». Bien entendu c’est le pendant de l’extrême faiblesse des muscles périphériques.
On peut déjà ici soupçonner qu’un tel malade aura horreur de l’effort, du mouvement, et qu’il ne supportera pas qu’on le dérange.
ÞBryonia est très proche de Gelsemium, notamment dans les cas aigus qui se développent progressivement. Les deux médicaments « fleurissent » au printemps lorsque l’on prend froid alors que l’on n’était pas assez couvert (Bry). Ou encore dès que soudainement il se met à faire chaud alors que jusqu’alors le froid régnait encore (Gels). On trouve le même visage empourpré, l’aggravation par le mouvement, l’aversion à être dérangé. Mais dans Bryonia l’irritation domine, le patient est hyperalgique, il souffre et comme il a mal de partout, il a autre chose à faire que de vous répondre. Dans Gelsemium, le patient est tout somnolent, fatigué, « ailleurs », il ne supporte pas qu’on le dérange car il n’arrive tout simplement pas à gérer votre demande, il ne comprend que lentement, la moindre sollicitation de l’intellect requiert un effort désagréable. Bryonia est grincheux, alors que Gelsemium est somnolent et « sonné ».
Bryonia ne supporte pas le mouvement qui aggrave ses souffrances et il a besoin de la pression qui le soulage tout en l’aidant à se maintenir immobile. Gelsemium n’a pas du tout envie de bouger, ce serait trop d’efforts car les muscles ne répondent pas à la volonté, les membres sont si lourds, il peut difficilement tenir sa tête, lever la main, sortir un bras des couvertures.
Bryonia transpire abondamment, Gelsemium quant à lui n’a pas soif du tout. Surveillez la miction : si l’on vous rapporte que le patient fait « d’énormes pipis », votre cas est bouclé.
Très caractéristique de Gelsemium : le frisson dans le dos qui remonte le long du dos ou bien le patient décrit cela comme une sorte de va et vient, vers le haut et le bas. Le frisson de Bryonia est bien entendu plus généralisé dans les cas graves type pneumonie, mais on le rencontre souvent au début de l’affection au niveau du dos, mais le frisson descend le long du dos.
Confusion, quand le sujet essaye de bouger, les muscles refusent d’obéir, étourdissement. C’est ici le signe très caractéristique de la paralysie de Gelsemium. Les muscles n’obéissent pas à la volonté, il faut vraiment se concentrer et faire un effort pour obtenir le mouvement. Ceci est observé très fréquemment dans les affections aiguës qui appellent le remède (fièvre, grippe, etc.)
Accès de frénésie, yeux rouges, exorbités et effrayants, cheveux ébouriffés… Extrémités et tête alternativement chauds et froids. Manie aigue après mélancolie. Loquacité, les yeux brillants. Ces signes vous montrent s’il en était besoin que la matière médicale regorge de signes opposés. Ceci représente chez chaque sujet sensible l’action et la réaction. Ici encore on retiendra le terme « accès », comme si le patient sortait brutalement de sa torpeur mélancolique. Quelles situations peuvent produire un tel état ? Probablement certains états inflammatoires du cerveau ou de ses enveloppes, ou encore le refoulement d’émotions violentes comme la colère, et qui sort ainsi par accès. On a donc des chances que Gelsemium soit adapté aussi aux personnes qui refoulent leur peine, leur souffrance morale.
Ceci est cohérent avec l’idée qu’on doit se faire de l’élimination surabondante d’urine claire qui apaise le patient. Il faut que vous ayez cette souplesse d’esprit pour comprendre l’ensemble de l’image d’un remède et comprendre comment une cohérence logique s’établit dans l’ensemble des signes apparemment épars. Vous trouverez Gelsemium dans la rubrique CHAGRIN/ Pleurer, ne peut (Nat-m) ; ou encore dans COLERE/ affections suite de. Gelsemium sera ainsi très soulagé s’il parvient à pleurer, c’est cohérent avec l’image du médicament.
Se réveille en sursaut en hurlant. Tout n’est pas aussi calme et abattu qu’on pourrait le croire chez Gelsemium. Les peurs ou les sentiments refoulés semblent s’exprimer lors du sommeil, ce qui est classique dans le contexte de refoulement des émotions.
Désire qu’on le laisse seul ; irritable, hypersensible. Désire être tranquille, n’a pas envie de parler, ni d’avoir quelqu’un près d’elle, même si cette personne reste silencieuse. Comme on pouvait le prévoir, voici le signe qui complète fort logiquement le tableau mental du remède. Chaque fois que vous avez des signes de paralysie et d’engourdissement, c’est que le remède produit aussi des spasmes et de l’hypersensibilité. Ce groupe de symptôme peut faire confondre Gelsemium avec des remèdes plus irritables comme Chamomilla, Nux-vomica, Bryonia (voir ci-dessus). La différence essentielle de Gelsemium avec les autres réside dans le fait que l’irritabilité n’est pas un signe prédominant, si on la cherche, on peut la provoquer. Le tableau est dominé par la faiblesse tremblotante, les vertiges, le ralentissement psychique. En entrant dans la chambre du malade, on sera frappé par le côté « stone », somnolent, sonné. Si vous entrez par exemple chez un patient Chamomilla, il va vous envoyer péter tout de suite comme première réaction.
Le signe « grande dépression mentale chez les onanistes, avec confusion mentale et langueur excessive » complète à son tour l’image du remède. Sur la sphère sexuelle, c’est Vithoulkas qui décrit le mieux la situation de Gelsemium :
« Le même thème s’applique à la sphère sexuelle : le désir est facilement déclenché mais n’est pas très fort, et la fragilité conduira souvent à la masturbation. Ils n’ont pas assez de vitalité, ni assez de courage pour s’engager dans une interaction sexuelle avec d’autres. Après la masturbation, ils se sentent donc très mal intérieurement ; ils ont une immense insatisfaction, de la tristesse. Il y a des émissions nocturnes sans érections, des émissions lors de la selle, et aussi rien qu’en caressant une femme. »
Sujet mélancolique et découragé. Préoccupé par le présent et par l’avenir. Peur de la mort, manque de courage pour se suicider. Vous ne trouverez pas Gelsemium dans les rubriques comme RESSASSER, c’est souvent un médicament aigu dans les suites immédiates d’un chagrin, avec cet état de stase mentale que nous avons commencé à décrire.
Ceci permet de distinguer facilement avec Natrum muriaticum qui passe son temps à ruminer les évènements désagréables du passé. Les préoccupations de Gelsemium concernent surtout son état actuel et ce qu’il va devenir. Cela génère un désespoir, et du découragement, deux mots clés du remède.
Les pensées de suicide abondent pour échapper à leurs souffrances mais ils manquent de courage pour passer à l’acte, ce qui fait ressembler ici Gelsemium à Nux vomica, un autre membre de la famille des Loganiacées. Si Gelsemium a en quelque sorte les pattes coupées, Nux vomica réagit de la façon diamétralement opposée en générant spasmes et autres réactions spastiques. Gelsemium est caractérisé par le grand manque de courage, une anxiété qui le fait trembler, Nux vomica est juste à l’opposée.
Anxiété, incohérence de la pensée, aversion pour étudier. Le travail mental entraîne une sensation de découragement qui provient de la faiblesse cérébrale ; incapable d’attention dès qu’il s’agit de penser. Les muscles n’obéissent plus, les membres sont lourds et fatigués, le cerveau ne peut pas travailler non plus. L’incapacité à penser est une keynote du remède. Ce tableau mental se retrouve dans presque toutes les affections où Gelsemium sera indiqué.
Chaque nouvelle excitante provoque de la diarrhée ; mauvais effets d’une peur ou d’une frayeur. Nous voici devant le signe classique du remède. Nux vomica est surtout aggravé par le manque de sommeil, les veilles prolongées pour parvenir à travailler suffisamment. Le sujet Nux vomica typique est d’abord quelqu’un de sec et nerveux, dont les moindres gestes trahissent un tonus musculaire important, tandis que Gelsemium s’adapte merveilleusement bien au choc d’une nouvelle soudaine, d’une frayeur, qui provoque une paralysie, une détente musculaire.
Troubles suite d’annonce soudaine de mauvaise nouvelle, troubles suite de frayeur comme une diarrhée, une fausse-couche, etc. On peut dire que suite au stimulus soudain, le patient Gelsemium lâche tout d’un coup : diarrhée, fausse-couche, etc. Essayez de garder cette image en tête de quelqu’un qui lâche un objet qu’il tient dans sa main. Gelsemium est vraiment par excellence le remède de la trouille et de ses effets paralysants ; incapable de faire face, il ouvre les sphincters là où le sujet Nux vomica « serre les dents » et cherche à foncer dans le tas.
Cette paralysie affecte aussi les nerfs sensitifs. Je vous narre ici l’anecdote de la surdité brutale du chauffeur du Dr. Schmidt. L’homme accourt consulter son patron qui s’enquiert donc des circonstances de survenue. Il s’avère bien vite que le trouble s’est déclenché peu après qu’un coup de fil lui ait appris une très mauvaise nouvelle familiale. Il vous reste à croiser les rubriques HYPOACOUSIE/ soudaine et MAUVAISES NOUVELLES pour prescrire tout de suite Gelsemium avec un effet quasi immédiat.
Appréhension nerveuse d’apparaître en public, chez les chanteurs et les orateurs. Je vous cite de nouveau Vithoulkas :
« Sur le plan émotionnel, ces gens sont extrêmement timides, ils ont une sainte horreur de se trouver avec d’autres gens, ils ne sont pas sociables, avant tout parce qu’ils manquent d’énergie pour gérer les interactions. Ils n’ont tout simplement pas assez d’énergie pour faire face aux nécessités et aux responsabilités de la vie. Cette aversion pour communiquer ou participer à une réunion peut atteindre des sommets comme jusqu’à être pétri de peur (couardise) devant une assemblée, passer devant un juge, passer un examen. Cette incapacité à affronter les responsabilités de la vie mais aussi le stress ordinaire d’une journée banale peut atteindre le point où ils se retrouvent incapables de gérer leur présence dans des réunions les plus anodines »
Ceci fait de Gelsemium le remède principal de la trouille. C’est par excellence le remède de la peur qui paralyse, qui provoque un relâchement des sphincters, etc. Nous verrons plus loin les médicaments de l’anticipation.
Troubles après une excitation ou une mauvaise nouvelle ; après des émotions soudaines ; par anticipation d’évènements inhabituels ; dépression générale provoquée par la chaleur du soleil en été. Clairement, on voit ici la fragilité du patient qui ressent un choc et ne parvient pas à le gérer, cette sensation est courante chez de nombreuses plantes, les ombellifères par exemple sont ici très proches. Ce qui est plus intéressant ici c’est l’importance des effets de la chaleur du soleil en été. Ce facteur météo est très important, il faut apprendre bien vite dans notre profession à regarder le temps qu’il fait et se dire :
– Il fait un froid terrible, le ciel est bleu et il y a un vent glacial : Aconit.
– On a eu bien froid, le temps commence enfin à s’améliorer après l’hiver : Bry, Gels.
– Il fait super chaud, on a trop mangé ou bu trop froid : Ant-c.
Etc.
Effets du chagrin, ne peut pleurer ; < en pensant à ses symptômes ; < également en lui parlant de la personne qu’il a perdue ; > en parlant d’autre chose ; oppression et palpitations cardiaques ; ressent une impression de danger ; visage congestionné ; insomnie ; abattement ; sensation d’endolorissement autour du cœur. Pesez bien chaque mot de Hering, cela vaut de l’or. Vous voyez ici comme se manifeste l’évitement chez Gelsemium : ne pas parler de ce qui blesse, ne pas penser non plus. C’est l’une des manifestations de la lâcheté du remède. Nous sommes ici aux antipodes d’Ignatia (rester digne) mais surtout Nux vomica (foncer dans le tas).
Ici un ajout à faire dans le Répertoire : ILLUSIONS/ Danger/ sentiment de. Vous comprenez que le patient vit dans la crainte permanente, un peu à la façon de Medorrhinum. Ce sentiment de danger est ici tout à fait bizarre puisqu’il apparaît dans un contexte de chagrin. Vous mesurez ainsi toute l’empreinte de Gelsemium : l’esprit est tellement choqué que la peur est générée en réaction.
Les sensations physiques sont aussi de la plus haute importance. Le visage congestionné est une caractéristique du médicament, notamment dans les affections aiguës. N’oubliez pas que c’est un remède très congestif. L’insomnie suite d’idéation est très classique, toutes les Loganiacées la présentent. Enfin, la sensation d’endolorissement, les courbatures, etc. se manifestent presque dans chaque cas qui a besoin de Gelsemium. Suite à un chagrin, ressentir de l’endolorissement autour du cœur n’est probablement pas sans signification.
Suite de cet article : les loganiacées (partie 2)
Vous pouvez également accéder aux cours sur les loganiacées :
Commentaires
J’aime ta mise au point sur la recherche effrénée du symptôme mental unique qui fera prescrire tel ou tel remède.
J’ai essayé plusieurs fois soit Muriatic Ac ou Urtica Urens dans les suites de deuil. Je n’ai observé d’amélioration sensible que lorsque le patient présentait quelques concordances avec les remèdes cités. Cette maniére de prescrire uniquement sur ce “signe” ne me convient pas . L’homéopathie a fait ses preuves dans un cadre précis, l’homme total. Je viens de vivre un état brutal “gels” suivi d’une modification vers Nux. L’homéopathie est une médecine fanstatique, ne la gâchons pas.
J’ai hâte de pouvoir revenir à tes cours qui m’ont beaucoup apporté.
Je t’embrasse
Marc
Merci Edouard, pour cette belle mise au point sur Gels.
Pour donner un élément en réponse à Marc à propos de Mur ac et du deuil: d’expérience, il a fonctionné remarquablement dans les suite de décès de la mère chez un nombre important de mes patients et patientes.
A vérifier par d’autres confrères.
Amitiés
Michel