Organon §1. Vocation Médicale

Dans Organon by Edouard Broussalian3 commentaires

Chers amis
Nous voici lancés dans cette étude de l’Organon de la 6ème édition, parue post-mortem en allemand dans les années 1910, traduite en français par Schmidt et Künzli dans les années
1960. J’espère que nous aurons la volonté d’aller jusqu’au bout.

HahnemannC’est pour moi une belle occasion de mettre par écrit ce qui a macéré des années durant dans ma tête, et au seuil du premier paragraphe, je mesure le brin de folie de l’entreprise, surtout en venant derrière des auteurs comme Kent (« Lectures on Homoeopathic Philosophy », traduiten français par le Dr. Pierre Schmidt sous le titre « La Science et l’Art de l’homéopathie »). Une lecture indispensable.
Je m’appuierai donc sur les commentaires de J. T. Kent qui a été l’un de mes maîtres à penser dès l’âge de 16 ans. J’espère apporter une dynamique de discussion en ajoutant des vues
personnelles qui reflètent l’actualité de ce XXIème siècle afin que nous puissions tous être stimulés dans la recherche et la compréhension de ce texte fondateur.
Nous verrons que l’Organon est un livre vivant dans lequel Hahnemann ne procède pas d’une approche dogmatique mais qu’il cherche toujours à interpeller. Ce texte est le fruit d’une
expérience clinique basée sur une remise en question incessante de la part d’un génie comme il en nait un par siècle. Il est aujourd’hui clair pour moi que nous ne pourrons probablement jamais comprendre l’étendue de la pensée de Hahnemann, mais nous allons nous atteler à la tâche malgré tout car nous sommes censés être des professionnels de la santé.

VOCATION MÉDICALE

1 — La plus haute et même l’unique vocation du médecin est de rétablir la santé des personnes malades (a), c’est ce qu’on appelle guérir.
(a) Sa vocation n’est pas de forger de prétendus systèmes, en combinant des idées creuses et des hypothèses sur l’essence intime du processus de la vie et de l’origine des maladies dans l’intérieur invisible de l’organisme (ambition qui fait gaspiller à tant de médecins leurs forces et leur temps).
Sa vocation ne consiste pas non plus à chercher par d’innombrables tentatives d’expliquer les phénomènes morbides et la cause prochaine des maladies, etc., qui leur est toujours restée cachée.
Son but ne vise pas davantage à se prodiguer en paroles inintelligibles et en un fatras d’expressions vagues et pompeuses, qui veulent paraître savantes afin d’étonner l’ignorant, tandis que les malades réclament en vain des secours !
Nous en avons assez de ces savantes rêveries que l’on appelle médecine théorique et pour lesquelles on a même institué des chaires spéciales et il est grand temps que ceux qui se disent
médecins cessent de tromper les pauvres humains par leur galimatias et commencent enfin à agir, c’està-dire à secourir et guérir réellement.

PROPOSITION DE QUESTIONS

Quel est l’objectif de votre pratique ? Quel est l’objectif d’un médecin ?
Qu’est-ce que guérir pour vous ?
Quelle est la place, le rôle et la tâche du médecin ?
Qu’est-ce qu’un malade ? Quand commence la maladie ? Où se situe la maladie?
En quoi l’homéopathie pose des questions métaphysiques ? Quels en sont les pièges ?

COMMENTAIRES

Le moins que l’on puisse dire c’est que ce premier paragraphe a dû être longtemps médité par Hahnemann. On peut tellement le développer qu’il est difficile de rester sobre. Les Aphorismes suivants nous demanderont moins de longueurs, enfin je l’espère. Je visualise souvent le fameux §1 comme une immense porte un peu façon Tolkien, qui ouvrirait sur un domaine encore peu exploré. Soit on possède le psychisme, l’état d’esprit requis et la porte s’ouvre en grand, soit on peut rester indéfiniment coincé à l’entrée.
Le Fondateur exprime ici les pré-requis pour exploiter pleinement l’homéopathie dans toutes ses dimensions. Imaginez un univers à 3, 4 ou plutôt n dimensions que vous n’exploreriez que partiellement, par exemple sur la longueur. Il y aurait de quoi être frustré, et si l’on compare l’état actuel de l’homéopathie avec les réalisations des anciens, il est clair que nous avons perdu beaucoup de ces proportions.
Une fois n’est pas coutume, nous pouvons l’aborder par l’approche réductionniste que je réprouve tant en médecine : découpons les mots !

Vocation

La définition première du terme dans son étymologie latine (vocare) relève du domaine religieux : être appelé par Dieu. Par extension, « Inclination, penchant impérieux qu’un individu ressent pour une profession, une activité ou un genre de vie ». C’est donc un terme très fort qui désigne la démarche médicale selon Hahnemann. Dans mon expérience, seuls réussissent en homéopathie ceux qui sont « habités » par elle, qui ont perçu au moins pour une part les prolongements immenses de cette science. Ce que je vais dire est choquant pour les athées, mais après tout, j’en ai moi-même assez d’être choqué par les matérialistes recrutés par milliers en médecine : l’homéopathie implique de se sentir au service d’une cause qui nous dépasse. Il y a une notion divine qui transcende l’individu ; cela rappelle les premiers temps de l’humanité où le prêtre était aussi celui qui prodiguait les soins.
Comme pour se prémunir de tout dérapage mystique, pseudo-religieux ou philosophique fumeux « sulfurien », Hahnemann coupe court à tout délire et nous recadre : l’unique vocation du médecin c’est de rétablir la santé. Cela laisse toute la place pour les philosophes, les chercheurs ou les religieux, mais le médecin doit être appelé en somme « corps et âme » (nous réfuterons plus tard cette dualité artificielle) à développer ses connaissances et affûter sa perception des phénomènes morbides pour les traiter, et au-delà servir l’humanité.
Hahnemann utilise le superlatif qui donne une idée de l’altitude de la démarche et donc de l’exigence requise et dans le même temps ce superlatif « la plus haute » se trouve suivi par
« l’unique » ce qui donne une idée de verticalité et renforce l’idée de transcendance. C’est pour cela que l’homéopathie est si dangereuse pour les intérêts en place qui régissent le
globe : malgré certaines dérives de type sectaire qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’homéopathie, l’homéopathe n’est plus un mouton comme les autres, il a une capacité critique
énorme, il a changé de paradigme, et surtout il est animé (au sens greco latin « pneuma » qui signifie insufflation de vie) d’une foi intérieure.

Médecin

Le médecin est donc celui ou celle animé par cet état d’esprit, qui possède cette hauteur de vues qui fait taire son égo car il poursuit un objectif qui le dépasse.
La parabole des tailleurs de pierre s’impose ici. Un maître d’oeuvre d’un chantier de cathédrale inspecte les tailleurs de pierre, il demande à un premier ouvrier : « Que fais-tu ? ».
Celui-ci lui répond, un peu étonné par la question : « je taille une pierre ». Le maître d’oeuvre s’adresse à un autre tailleur et lui posant la même question, s’entend expliquer « je gagne ma vie, j’ai trouvé ce travail pour nourrir ma famille ». Enfin, un troisième ouvrier qui exécute pourtant les mêmes gestes que les précédents lui répond : « Comment qu’est-ce que je fais ? Je construis une cathédrale ».
Je suis choqué du nombre de médecins qui appartiennent à la première catégorie : c’est bien simple, on a l’impression que les études formatrices (au sens formatage de disque dur) ne
recrutent qu’eux. C’est la catégorie des aveugles inconscients, celle du geste technique, réalisé par une main routinière. Pour ces pseudo-scientifiques, science rime avec accumulation de « connaissances ». Je place des guillemets car ces « informations » sont toujours éminemment variables, jamais indépendantes et reflètent l’idéologie du moment. Ces médecins appliquent consciencieusement ce qui leur est indiqué de faire, tout en ayant l’immense satisfaction de se trouver « à la pointe du progrès ». Ils passent leur temps à traiter des organes, des morceaux, des maladies de plus en plus spécifiques qu’ils recherchent avec délectation. Le recul sur leur pratique est proche de zéro. Combien de médecins développent leur propre sens de l’observation devant leurs propres patients ? Au lieu d’appliquer le raisonnement cartésien du sujet pensant et qui se forge sa propre opinion, ils préfèrent se tenir « informés » uniquement de façon indirecte grâce aux publications médicales (financées la plupart du temps par des laboratoires pharmaceutiques), se cantonnant à un rôle passif qui ne les empêche pourtant pas de critiquer vigoureusement tout ce qui sort du champ de leurs connaissances.
Le passage par la Faculté ne développe hélas pas souvent l’esprit critique, et favorise principalement l’exercice de mémoire car les étudiants sont soumis à un rythme oppressant où
le meilleur sera celui qui parviendra à assimiler le maximum de choses en un minimum de temps. Beaucoup ont pris l’habitude d’une acquisition passive de connaissances sans chercher le moins du moins à remettre en cause ce qui leur est inculqué. S’agit-il d’une manière de conjurerune angoisse sous-jacente, permettant de se simplifier la vie à bon compte : ça n’existe pas puisque je ne l’ai pas appris ?
La seconde catégorie est aussi bien pourvue en médecine, celle des aveugles volontaires : je discutais récemment avec l’époux d’une dermatologue qui m’expliquait que sa femme vivait grâce aux verrues qu’elle arrachait par centaines ! En interrogeant l’intéressée sur sa pratique, celle-ci déclarait ne pas voir où était le problème d’arracher, congeler ou brûler ces petites choses. Je lui ai soulevé la question de considérer au minimum que l’organisme puisse présenter un dérèglement immunitaire permettant de tolérer, voire de faire proliférer, les édifices viraux. Elle s’est contentée de hausser les épaules mais, ayant parfaitement compris où je voulais en venir, a détourné le regard d’un air gêné sans plus m’adresser la parole de la soirée…
Pour sortir de ces catégories un peu artificielles, citons aussi tous ceux qui ont peur. La peur est souvent la seule raison d’établir une ordonnance. Peur de sanctions pénales, peur de sortir du lot, peur de faire courir un risque (imaginaire) à leurs patients, peur de l’échec, etc. Dans la dernière catégorie, nous nous rappelons tous ces professeurs rares, voire
exceptionnels, qui nous ont marqués dans nos études. Il rayonnait quelque chose d’eux, leur humanité était évidente : ils étaient au service d’une cause. Combien en connaissez-vous ?
Dès le début de l’Organon, nous pouvons ainsi définir plusieurs niveaux de conscience qui se développent successivement :

  • 1. L’ignorance inconsciente. L’exécuteur des basses-oeuvres.
  • 2. L’ignorance consciente. Le niveau du gagne pain.
  • 3. La connaissance consciente. On réalise qu’il existe d’autres dimensions, on s’attelle à la recherche d’autre chose.
  • 4. La connaissance inconsciente. Les nouvelles connaissances sont intégrées, on a changé de paradigme, cela ne nécessite pas plus de réflexion que de distinguer la droite de la gauche.

Pour résumer, le médecin se caractérise par l’humilité qui le rend toujours proche des autres, en accomplissant un travail de patience. Ce n’est qu’en étant dans « les tranchées » au milieu du sang, de la boue humaine, qu’on peut soigner les patients. Le médecin est ainsi conscient d’être une petite main qui met en oeuvre des lois qui le dépassent. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ailleurs : sans amour cette démarche médicale est vouée à l’échec. Si vous n’aimez pas les patients, je comprends que le contact d’une éprouvette ou l’analyse d’un écran vous rassure, et ne vous condamne en rien, mais cela ne s’appelle pas de la médecine (Hahnemann développe plus loin dans la note -a- tout ce que la médecine ne doit pas être).

Rétablir la santé (lois médicales)

Cette formule « rétablir la santé » est absolument essentielle car elle est l’image même de la vie. Elle donne l’idée d’une dynamique : il ne s’agit pas d’ôter des symptômes, mais de revenir en arrière vers un état de santé. L’univers entier est en mouvement, la vie est mouvement et adaptation permanente, seul le cadavre ne bouge plus et ne s’adapte plus à son
environnement. Hahnemann s’est fait l’hériter d’Hippocrate qui enseignait le principe du vis natura medicatrix : la nature est capable de se guérir elle-même grâce à une force de
guérison.
Les échecs de la médecine classique trouvent leurs origines conceptuelles dans le fait que le traitement habituel est ancré dans une vision réductionniste, linéaire et statique du
fonctionnement de l’organisme. La réalité nous apprend exactement l’opposé : le vivant est un tout unique, probablement régi par une « force » ou un élan « vital », et ne fonctionne surtout pas linéairement. Le tout complexe et indissociable que forme l’organisme se maintient entre les bornes d’un équilibre autour desquelles il oscille sans cesse de façon chaotique, un peu à la façon d’un manche à balai que l’on tient en équilibre posé sur un doigt (attention j’utilise ici le terme chaos dans le sens mathématique du terme, régi par des lois bien précises).

Cette adaptation permanente qui nous maintient en état de vie est à la base de la notion essentielle de susceptibilité individuelle. Celle-ci représente la marque même du fonctionnement de nature chaotique qui régit la vie. Sans chaos, il n’y aurait pas de susceptibilité individuelle, ni vie, ni maladie. Le vivant échappe à toute compression algorithmique, et plus encore, les phénomènes que l’on croyait définis par leur invariance et leur nature linéaire comme les mécanismes de l’homéostasie se révèlent être des mécanismes régis par le chaos.
Seul le paradigme homéopathique autorise la richesse conceptuelle nécessaire pour observer le vivant déréglé et permet de faire entrer la médecine de plain pied dans le cadre de toute
démarche scientifique consistant à observer des phénomènes afin d’en déduire les lois qui les régissent. Cette attitude caractérise toutes les branches de la recherche sauf hélas la médecine classique engluée dans le réductionnisme matérialiste et les tâtonnements au hasard plus ou moins validés statistiquement. Dans les laboratoires de recherche, on tente d’isoler la partie active d’une molécule pour la modifier en espérant élaborer des variantes plus actives.
L’adoption d’un traitement se fait après des réunions de consensus entre les sommités concernées qui décident pour l’occasion d’adopter pendant un an un protocole dont les
résultats seront évalués grâce à l’outil statistique. Comment ne pas déplorer le manque d’élévation de vue et d’esprit de synthèse dans cette « recherche » classique ? Personne ne semble se soucier de prendre un recul minimum afin par exemple d’étudier l’évolution globale du patient dans les affections qu’il aura présenté au cours du temps. L’étude des localisations successives des phénomènes morbides chez un même patient ne semble pas non plus intéresser grand monde. Bien au contraire, chaque spécialiste s’occupe de l’organe ou du système qui le concerne, perdant de vue le fait essentiel que les parties qu’il étudie appartiennent à un patient censé les maintenir en état de marche si l’on veut
bien m’excuser cette lapalissade.
La théorie de la complexité enseigne aujourd’hui que des phénomènes complexes finissent toujours par obéir dans leur globalité à des lois simples [Stewart, Dieu joue-il aux dés ?,
Champs, Flammarion]. Ainsi, bien avant que les mathématiques ne commencent à lui donner raison, Hahnemann avait distingué ces règles simples exposées dans l’Organon et qui
permettent d’appréhender le fonctionnement de l’être humain comme un tout en interaction avec son environnement et même avec son histoire. J’aime cette très belle remarque de Trinh Xuan Thuan [Le chaos et l’harmonie, Folio] qui écrit :

« La science du chaos séduit aussi parce que c’est une science du global qui abat les cloisons entre diverses disciplines. Elle rassemble des chercheurs d’horizons différents et va contre la tendance à la spécialisation outrée qui caractérise certains domaines de la science contemporaine. Elle est attrayante parce qu’elle fait s’écrouler le bastion du déterminisme et rend à la libre volonté sa première place. C’est au surplus une science holistique qui considère le tout et fait battre en retraite le réductionnisme. Le monde ne peut plus être expliqué seulement par ses éléments constitutifs (quarks, chromosomes,ou neurones) mais doit être appréhendé dans sa globalité »

Si même les astronomes se mettent à découvrir l’homéopathie, où allons-nous ?
Personnes malades (fin du réductionnisme et de l’idée des organes malades) L’emploi de « personnes malades » au lieu de malades ou maladies est lourd de sens et comme
à l’accoutumée, le Fondateur pose clairement les problèmes. Le sens commun est le meilleur allié conceptuel de la médecine classique : il semble naturel
depuis que la nuit des temps de traiter l’organe malade puisque c’est lui qui est –en apparence- le siège de l’affection, il semble tout aussi naturel de traiter un excès par des
restrictions, un manque par un apport supplémentaire, ou d’ôter un produit pathologique formé au détriment d’un organe.
Cette perception erronée génère la notion de maladie. Les statistiques nous permettent en effet de définir les traits communs à tous les patients souffrant d’une affection donnée et de définir ainsi le syndrome minimal permettant de porter un diagnostic.
L’angine se définit ainsi par un ensemble de signes généraux (fièvre, courbatures) et locaux (inflammation des amygdales, dysphagie, langue chargée, aspect érythémato-pultacé ou au
contraire nécrotique dans l’angine de Vincent, etc.). En nommant « angine » la maladie, nous pouvons porter un pronostic et connaître les éventuelles complications possibles. Cependant, en y regardant de plus près, on se rend compte que tel patient est tombé malade après une exposition au froid, tel autre après avoir transpiré, tel autre toujours avant ses règles ; celui-ci est complètement abattu, alors que tel autre est très agité, chez l’un la maladie se déclare au réveil, chez l’autre en fin d’après midi, la douleur est calmée pour les uns par les boissons chaudes, alors que c’est une boisson bien froide que réclameront d’autres sujets, etc., etc. Il devient dès lors apparent que chaque cas est particulier. Hahnemann recommande ainsi de dire : « tel malade fait une sorte d’angine ». La notion de maladie s’efface devant la réaction générale d’un organisme malade.
Seuls quelques médecins classiques commencent à s’élever contre ce véritable drame conceptuel qui repose sur le paradigme réductionniste. C’est l’idée qu’il suffit de décortiquer
de plus en plus chaque rouage pour finir par répondre à toutes les questions. Cette vision a généré l’idée fallacieuse du traitement basé sur la correction de chaque organe cible. C’est
ainsi que l’on a distingué depuis la nuit des temps les organes, les parties des organes, les cellules, les organites intracellulaires, les substances chimiques synthétisées par les cellules, etc.
A chaque question à laquelle on répond, se posent cent nouvelles. A chaque fois que l’on progresse, l’horizon diminue de plus en plus puisque l’on étudie un fragment toujours plus petit
(c’est ce que l’on nomme l’entonnoir réductionniste [voir Barrow, John. D., La grande théorie, Champs, Flammarion]). La situation est résumée en quelques mots par Trinh Xuan Thuan, que je trouve complètement prémonitoire quant on les applique à la médecine :

« Ces succès de la physique réductionniste et linéaire ont été si impressionnants qu’ils ont donné l’impression erronée que le monde
était principalement composé de systèmes linéaires. En fait les systèmes physiques deviennent presque invariablement non linéaires au-delà
d’un certain seuil de tolérance […] ces systèmes ne peuvent alors plus être analysés, car le tout devient plus grand que la somme des
composantes. L’effet n’est plus en proportion avec la cause. Les systèmes chaotiques sont des systèmes non linéaires par excellence.
Comme nous l’avons vu, ces derniers sont d’une sensibilité extrême à la plus faible perturbation. »

C’est ainsi qu’en médecine, le chercheur (du laboratoire) tentera d’identifier le mécanisme physiopathologique d’une affection (afin de sortir dans les plus brefs délais la drogue capable
d’interférer avec). Dans le cas d’une migraineuse, par exemple, on explique que c’est la dilatation des vaisseaux sanguins qui provoque la douleur. Il suffira de contrecarrer cette
dilatation à l’aide d’une substance qui force le vaisseau à se contracter. D’autres approches physiopathologiques sont aussi possibles comme par exemple la prescription de bêta
bloquants et souvent le traitement adopté dépend du choix arbitraire du praticien ; lequel à son tour peut être influencé par la longueur de la jupe de la visiteuse médicale qui lui a fait
connaître la spécialité en question, ou le nombre de repas ou de séjours touristiques que le laboratoire lui offrira, etc. Ce sont souvent ces mêmes médecins qui s’autoproclament
scientifiques et nous jettent l’anathème…
Pour un oeil critique, il apparaît clairement que cette attitude n’apporte rien de durable ni de satisfaisant. En premier lieu, personne ne pourra répondre à la question « pourquoi les
vaisseaux de cette patiente se dilatent-ils » ; ensuite, du moment que d’autres êtres humains ne présentent jamais ces symptômes c’est qu’il doit exister un mécanisme de régulation qui est ici mis en défaut.
Substituer à un mécanisme naturel défaillant une drogue et son cortège d’effets généraux dans tout l’organisme ne semblera pour personne être une solution à terme. L’étude du
fonctionnement physiologique de l’organisme est passionnante en tant qu’étude scientifique car toute connaissance est bonne à prendre, mais elle aboutit à une impasse dès lors qu’il s’agit de  soigner les malades. Ici encore vous voyez que Hahnemann pose clairement les limites qui séparent le chercheur du médecin.
L’homéopathie prend le contrepied absolu de la vielle démarche réductionniste, statique, dangereuse, et inadaptée. Elle démontre qu’il existe des lois dynamiques naturelles de
guérison et que le médecin doit les appliquer au patient qui réagit comme un tout vivant.

Guérir

Actuellement à la faculté de médecine on prévient les étudiants qu’il n’est pas possible de guérir, mais seulement d’accompagner des malades. Le terme « guérir » semble une utopie
réservée aux charlatans. Au lieu de remettre son modèle en cause, la médecine classique s’acharne à frapper de plus en plus fort… des mirages. Son échec à traiter les organes est
l’une des preuves les plus éclatantes de la véracité physique du modèle global Hahnemannien.
En effet, l’homéopathie impose un changement de paradigme -défini dans l’Aphorisme 1- en hissant le patient du niveau de l’objet (ou organe malade) à celui de sujet en
dysfonctionnement, en désaccordement. C’est ce changement conceptuel qui autorise d’entrevoir une guérison qui ne se définit pas comme une absence de symptômes.
L’homéopathie apporte de nombreux critères et repères pour estimer l’évolution favorable ou défavorable d’un patient.
Un exemple basique de cette situation concerne la régression de signes cutanés chroniques suivis par l’apparition de signes respiratoires. Ceci a été décrit par Hahnemann, longtemps
raillé par la médecine classique, et finalement depuis peu de temps j’entends des confrères allopathes déclarer que le petit untel « ne s’améliore pas maintenant que son eczéma est parti
il fait de l’asthme ! »

Comme le sous entend l’expression « rétablir la santé », il existe un processus curatif qui tend à expulser à la périphérie les symptômes tandis que la progression de la maladie est toujours centripète, depuis les organes les moins vitaux jusqu’aux plus essentiels pour la survie de l’organisme. Vous êtes vous déjà demandé pourquoi les enfants font de fortes fièvres, mais pratiquement jamais de maladies dégénératives, tandis que plus on progresse en âge, moins on présente de maladies fébriles ?
La maladie -ou la guérison- étant mouvement, celles-ci dépendent uniquement du niveau de désordre (ou d’énergie) de l’organisme entier. On tombe malade selon des règles précises de susceptibilité, et on ne peut guérir (c’est-à-dire revenir en arrière et rétablir la santé) qu’en suivant les règles qui régissent le vivant. Hahnemann a écrit il y a un peu moins de deux siècles une phrase révolutionnaire :

« Les phénomènes désagréables que nous nommons maladies n’ont pour origine que le désaccordement de l’énergie vitale ».

Tout se passe comme si l’organisme défaillant trouvait dans l’expression des symptômes une issue pour stabiliser sa perte d’énergie ; « limiter la casse » en quelque sorte. Ainsi, le
symptôme présente clairement une signification : c’est « un moindre mal » qui permet de limiter la progression centripète de l’affection de l’organisme.
Depuis Hahnemann de grands praticiens comme Kent ont classé d’après leurs observations cliniques les organes par niveau de profondeur, ce qui revient à des niveaux d’énergie
différents. Nous distinguons ainsi cliniquement la hiérarchie suivante :

  • Le plan physique, avec les organes
  • Le plan émotionnel, avec de nombreux états opposés comme l’amour et la haine ; la joie et la tristesse ; le courage et la peur ; le calme et l’anxiété ; la confiance et la méfiance ; la sécurité et l’insécurité
  • Le plan mental (qui inclut la compréhension, la mémoire, les diverses perceptions que l’on a de soi, la confusion, et éventuellement le délire) et spirituel (qui suis-je, où vais-je, quel est le sens de la vie, le but de mon existence, Dieu existe-t-il, etc.)

Quand un patient qui consulte par exemple pour une polyarthrite rhumatismale commence à recouvrer l’usage de ses membres et qu’en même temps réapparaissent des sinusites qu’il
n’avait plus depuis 20 ans, on est devant une évolution favorable. Quand ce même patient se porte de mieux en mieux, retrouve de la joie de vivre, redevient créatif, et commence à
regarder les autres avec compassion, il est clair que même le plan mental et spirituel s’est amélioré. Ce sont des signes sûrs d’une guérison.
Si le même patient suivait un traitement allopathique qui lui soulage ses membres mais que par exemple des troubles digestifs surviennent et qu’il se sente de plus en plus déprimé et replié sur lui-même : pourrions nous oser dire que son état de santé s’est amélioré ?
Une étude statistique récente (malgré toutes mes réserves concernant ce type d’études) montre que le niveau de santé de la jeunesse actuelle est beaucoup moins bon que celui de ses aînés il y a 20 ans : caries, troubles oculaires, dépressions… Pourtant, ces jeunes ont été suivis médicalement, nourris, vaccinés et traités comme aucune génération avant elle. Faut-il se poser des questions ?

Note a)

Pour clarifier ce premier Aphorisme déjà si dense et percutant, Hahnemann dissipe toute confusion et définit sans prendre de gants ce que doit être un médecin. Il liste tout ce qui n’est
pas une démarche médicale et met à l’index ceux qui « trompent les pauvres humains par leur galimatias » en exigeant qu’ils « commencent enfin à agir, c’est-à-dire à secourir et guérir
réellement ». Une fois de plus, nous voyons que tout l’édifice Hahnemannien est bâti à l’aune des résultats cliniques, seul compte cet objectif de guérison.

Hahnemann bannit :
-Ceux qui font de « prétendus systèmes, en combinant des idées creuses et des hypothèses sur l’essence intime du processus de la vie et de l’origine des maladies ».
Plein de médecins jouent encore aujourd’hui dans cette catégorie. Incapables d’appréhender l’édifice hahnemannien dans sa totalité, souvent par manque d’humilité,
ils mettent en exergue un point particulier, comme les fameux « barrages » vaccinaux et créent une « sous-théorie » qui n’est plus qu’une homéopathie au rabais. Citons ici
brièvement tous ceux qui cherchent à amalgamer l’homéopathie avec les dernières découvertes en vogue de la recherche sur le tissu immunitaire par exemple.
-Ceux qui cherchent à « expliquer les phénomènes morbides et la cause prochaine des maladies ». Ici nous avons affaire à tous ceux qui prospèrent dans la métaphysique,
par exemple, ceux qui mettent Dieu à toutes les sauces y compris homéopathique, mais surtout ceux qui prétendent développer une homéopathie « avancée » d’après des
théories sur l’existence d’une illusion primordiale.
– Ceux qui font de l’épate en « paroles inintelligibles et en un fatras d’expressions vagues et pompeuses ». Lisez Freud et ses disciples pour en savoir plus !

-Ceux qui s’adonnent à de « savantes rêveries que l’on appelle médecine théorique ». Encore une espèce toujours pas en voie de disparition : il s’agit des inventeurs de cases,qui pensent pouvoir ranger et classer tous les types de patients selon tel ou tel modèle.

Comme vous le voyez, le texte de Hahnemann reste d’actualité car il avait déjà bien observé les travers humains qui poussent à dévoyer, travestir, détourner, pérorer.
Il sera intéressant d’objecter que Hahnemann pourtant formule lui-même des hypothèses, et que l’on a besoin d’un minimum de modèles, même en homéopathie ! Il ne s’agit que d’une contradiction apparente, car Hahnemann accepte les hypothèses qui peuvent avoir une sanction clinique ou les modèles qui rendent compte des phénomènes observés. Le Fondateur
est un pur Popperien avant la lettre puisqu’il n’accepte que des hypothèses réfutables. C’est la réfutabilité d’une hypothèse écrira plus tard Popper qui fait qu’elle est scientifique ou non.
Ainsi Hahnemann ancre définitivement son oeuvre sur le socle inébranlable de la clinique et de l’expérience. Il est le précurseur de la démarche expérimentale en médecine, et déjà ce seul titre de gloire devrait lui assurer l’immortalité ! Cependant, tout ceci a été en grande partie oublié et l’existence même de l’homéopathie se trouve aujourd’hui menacée par la
prolifération de ceux que Hahnemann dénonce ici.

Lien vers le cours de première année sur la vocation médicale

Lien vers le second aphorisme de l’Organon : l’idéal thérapeutique

Commentaires

  1. Bonjour,
    PH est un site d’information sur l’homéopathie, nous ne pouvons pas donner ni adresses ni recettes ni répondre à des cas personnels.
    Merci

  2. Bonjour,
    Je suis venue vous écouter ce mercredi dernier à la conférence Schmidt Nagel,je suis médecin et travaille comme ostéopathe crânien exclusivement en Suisse depuis 15 ans.Je voulais vous remercier pour la clarté de votre exposé qui m’a beaucoup interessée du fait des attitudes similaires aux vôtres, à tenir en ostéo, er sur lesquelles je me sens également un peu isolée quant à ce questionnement : l’importance du symptôme que l’on peut traiter seulement après avoir rétabli le terrain ou vitalité, l’écoute du corpsqui indique le tempo et l’ordre: bref, cela fait du bien et je fais témoignage de cela pour que vous sachiez l’utilité de vos conférence.
    Bien respectueusement et cordialement
    pauline kuszli-fichot

Laisser un commentaire