Une visite chez David Little
Par le Dr. Edouard Broussalian, le 23 février 2009
David Little
Notre voyage chez David Little, dans le Nord de l’Inde, a été prodigieusement enrichissant. Une dizaine d’années de contacts épistolaires par Internet interposé nous avaient convaincu Jean-Claude Ravalard et moi que David était probablement un véritable puits de science.
Il me sera difficile de vous faire un compte rendu exhaustif car en repartant de Rishikesh, où David séjourne durant l’hiver, nous avons laissé un Maître, un ami, une famille exceptionnelle habituée à tout donner.
Une fois passés les premiers instants de sa timidité naturelle, son regard perçant s’anime et c’est avec des yeux de braise qu’il parle de tous les sujets qui nous intéressent. David perçoit et connaît l’art de guérir dans toutes ses dimensions et il est aussi une sorte de sage qu’on appelle « Baba » dans les contrées où il réside.
Dès les premières minutes de nos entretiens il a pointé du doigt des erreurs énormes dans la traduction de la pensée de Hahnemann, erreurs qui ont confondu les notions de totalité et d’essence. Hahnemann enseigne qu’au sein de la totalité on se doit de tracer l’essence, c’est-à-dire le groupe de signes possédant la signification maximale. Il caractérise sa démarche par la « Gestalt » sur laquelle Hahnemann a fondé l’homéopathie[1] : partant du principe que l’essence invisible ne peut être vue directement, on se doit de la caractériser par un maximum de faisceaux d’argument concordants. Il déteste ainsi qu’on se permettre d’ériger des vérités relatives en vérités absolues, en fondant des système fermés sur eux-mêmes et sans avenir. Nous développerons bientôt ces points essentiels qui jettent un flot de lumière sur l’homéopathie.
Il possède parfaitement l’homéopathie qu’il a apprise dès l’âge de 20 ans auprès d’un vieux médecin homéopathe américain héritier direct de l’enseignement classique kentien. Il a exercé gratuitement depuis de nombreuses années en Inde, soignant des maux innombrables, et il possède aujourd’hui une expérience ahurissante aussi bien de la doctrine que de la clinique.
Il a littéralement refondé l’homéopathie en révisant exhaustivement toutes les bases de notre science qui ont été perdues ou déformées. Il n’a pas hésité à retrouver les textes originaux les plus anciens, comme les cas cliniques de Hahnemann à Paris qu’il a traduit à l’aide de sa femme Jill ; ou encore les manuscrits grecs et arabes qui décrivent les 4 tempéraments, redécouvrant ainsi un savoir millénaire d’observations cliniques que nous avons perdu en Occident.
David a puisé aux sources en redécouvrant les travaux de Guy Buckley Stearns, parus en 1932, sous l’égide de l’IHA, et qui dépeignent minutieusement les réactions réflexes de l’organisme placé à proximité de doses dynamisées. Fidèle à sa notion de « Gestalt », lors de ses testings pour évaluer les effets des doses, il prend simultanément les 6 pouls chinois (oui, il possède ce qu’il appelle des bases en herboristerie et médecine chinoise), étudie le reflexe respiratoire, la modification des divers points douloureux, la relaxation musculaire qui conduit à une égalisation de la longueur des membres.
Il a étudié aussi la kinésiologie auprès des disciples directs du fondateur de cette méthode et pourrait vous en dire long sur ce qu’il pense des dérives délirantes qu’on peut observer de nos jours et des fortes limitations de cette méthode qui implique finalement le subjectif du testeur et du testé. En passant, il explique aussi qu’on peut comprendre les mouvements d’un pendule, à qui l’on demande tout et n’importe quoi, grâce au simple fait de la contraction ou du relâchement des groupes musculaires concernés, en une sorte d’auto-kinésiologie.
Modeste dans le domaine de l’homéopathie, il se considère parmi les 5 tops mondiaux en ce qui concerne l’ostéopathie, et il le prouve aisément. Je l’ai vu analyser les anomalies d’un crâne d’une façon complète et systématique en quelques minutes puis le repositionner sans même en avoir l’air. Là où des flopées d’ostéopathes européens ont lamentablement échoué, il a corrigé en quelques instants des lésions datant de plusieurs décennies. Pour la première fois de sa vie, la patiente ne sentait plus sa douleur crânienne habituelle…
Quoi de plus normal, après tout, qu’une fois parvenu à de tels sommets, on ne puisse habiter ailleurs que sur le toit du monde ?
David a bientôt terminé son grand livre sur l’homéopathie qui compte environ 4400 pages en 6 volumes. Nul doute que ce sera un must absolu. Ce travail l’a laissé passablement épuisé et j’espère qu’il ira bientôt mieux pour pouvoir passer à l’impression d’un ouvrage qui va marquer profondément le monde homéopathique.
Quelques aphorismes
Nous avons eu de très nombreuses discussions avec David, d’où je vous ai extrait quelques aphorismes que vous pourrez méditer :
« Je regarde toujours d’abord le remède rare d’abord. Je trouve très importante la notion de valorisation relative, c’est vraiment dommage que les gens qui font les répertoires modernes ne l’aie pas comprise et continuent d’ajouter les remèdes locaux aux rubriques générales.
« Mais je ne suis pas obsédé par les petits remèdes. Si je sors Nat-m, j’irai regarder tous les Natrums et tous les Muriaticums.
« L’aigu ouvre en grand les portes de la crise. Le corps exprime les symptômes les plus importants.
« Dans tous les cas je pense à 3 remèdes et à 1 nosode. Si j’aperçois les signes d’un nosode, je le prescris ; jamais sur la base d’un miasme comme le miasme tuberculeux par exemple. Ce n’est que si je me trouve bloqué que je le donne volontiers. Si on a un signe caractéristique du nosode, alors c’est un simillimum si on le prescrit, autrement on le prescrit en tant qu’intercurrent. Dans ce dernier cas le nosode peut 1) ne rien produire du tout 2) produire un bien relatif et resensibiliser le patient [à son traitement chronique] 3) fonctionner magnifiquement. Il faut bien entendu évoquer systématiquement le nosode intercurrent dans la cas où le patient n’a jamais été bien portant depuis telle ou telle affection.
« Il y a différentes façons d’utiliser le nosode. 1) D’après les symptômes et en fonction de l’attention qu’on porte à la cause de la maladie. 2) En fonction de « l’idem » ou encore l’isopathie. Hering dans certains cas utilisait les crachats des malades. Il a aussi donné Syphilinum dans un cas de syphilis où aucun remède ne produisait d’effet. Le chancre réapparut alors, et avec lui tous les signes de Mercurius qui agit alors magnifiquement. 3) Dans les cas qui semblent mener à des tas de pistes différentes (scattered cases) ou quand un remède pourtant bien indiqué échoue et qu’on aperçoit une couche miasmatique, ou encore quand un cas progresse bien puis qu’il s’aggrave de nouveau. 4) Quand les symptômes sont supprimés et que l’on n’a pas assez de signes clairs pour prescrire.
« Il n’y a aucun remède purement « chaud » ou « froid ». Quoi que vous trouviez dans la matière médicale, vous aurez aussi son opposé. Les images constitutionnelles sont une caricature, une bien dangereuse caricature. Des cas différents se présentent toujours de façons bien différentes. Vous devez prendre le cas de la façon dont le patient se présente.
« Bien sûr une sensation vitale peut se retrouver dans des familles de remèdes. Mais comment définir précisément les limites d’une famille ? Pourquoi tant de miasmes fixes, alors que la plupart des remèdes sont pluri-miasmatiques ? Ignatia appartiendrait au miasme cancéreux, combien de cas de cancers ce remède a-t-il guéris ? Prenez le cas d’un patient qui a des hallucinations, il pense voir des serpents par exemple. Ils donnent alors une 10 m à la catégorie des patients les plus sensibles. C’est une énorme erreur. De même chez des sujets hautement émotionnels, à qui l’on donne des 200, qui les aggraveront considérablement ; ne commencez jamais à une telle dynamisation dans ces cas là. Ils en oublient la pathologie et n’ont aucune idée de la sensibilité du cas.
« Il faut considérer avant tout la sensibilité du cas qui découle
- du tempérament. On nait avec. Il en découle la nervosité, l’émotivité, etc. Certains patients ne supportent pas tel aliment, c’est un signe de sensibilité. Les allergies aussi, etc.
- de la pathologie. Si la vitalité est stable (c’est-à-dire que le niveau d’énergie est stable) et qu’il n’y a pas de modifications anatomiques, on pourra monter avec plus de sécurité. La constitution permet d’avoir une idée de la sensibilité physique, le tempérament donne des indications sur l’état psychique.
« Nous devrions expérimenter le reste du tableau périodique pendant des mois et non pas après avoir dormi pendant quelques heures au contact de la dose. On pourrait alors utiliser l’analogie pour compléter l’expérience et même inclure quelques données de type « signatures ».
« Relisez ce que Hahnemann écrit sur Pulsatilla dans sa Materia Medica Pura, il est très clair sur la question des tempéraments, de la personnalité, etc. Dans chaque cas vous devez séparer ce qui est inné des symptômes de la maladie. La recherche des signes pathologiques et des signes de la constitution vous aide à former une image précise du cas. Vous ne pouvez pas vous reposer uniquement sur les tempéraments, c’est juste la façon dont on est construits. Le tempérament permet de définir quel type de sujet sera apte à développer plus de symptômes. Hahnemann a écrit exactement le pourcentage de tempéraments / leur capacité à produire des symptômes. Kent n’a pas saisi les tempéraments. Cela apparaît très clairement dans sa façon de sauter systématiquement ce chapitre quand il lit Hering dans ses conférences [Ed évoque aussi dans la discussion l’article de Kent intitulé Temperaments useless in prescribing]. Ces notions de constitution ont migré de Jahr à Lippe puis Kent les a effacées.
« Les homéomères sont les 5 éléments dont nous sommes tous faits. Les 4 tempéraments existent chez tout le monde mais on a une prédominance de deux d’entre eux. Les pythagoriciens ont largement discuté du tempérament d’un instrument, dans son accordement ou son désaccordement. La notion de tempérament a pris actuellement un sens étroit de type de personnalité. Mais en réalité, le tempérament n’est rien qu’autre qu’une disposition à la maladie. On peut classer ainsi quatre niveaux :
MIND |
BODY |
PREDISPOSITION |
TEMPERAMENT |
« Hahnemann a toujours dit qu’un médecin se doit d’être un philosophe. Hippocrate a décrit que sur le plan physique, ce sont les opposés qui sont utiles : qu’on donne à manger à ceux qui ont faim, combattre la chaleur par le froid, etc. Mais sur le plan médical, Hippocrate utilisait les semblables, comme l’hellébore dans les convulsions.
« Discussion sur le §5. … En ceci il faudra tenir compte:
— de la constitution physique du malade (surtout dans les affections chroniques) : il s’agit ici de la constitution diathésique, du tempérament
— de son caractère moral et intellectuel : en allemand Gest et Gemüt, en d’autres termes le caractère psychique et émotionnel, soit la disposition mentale du tempérament. On obtient ainsi des signes mentaux ainsi que le les signes mentaux constitutionnels (mental and emotional makeup) qu’il faut savoir distinguer.
… En ajoutant les autres points, on dresse la totalité des symptômes.
La LM 0/1 comme point d’entrée dans les pathologies chroniques
C’est une dynamisation extrêmement versatile et flexible selon la préparation qu’on en fait. Elle peut agir comme une centésimale de faible énergie comme une 6c ou 12c, ou encore se comparer à une 30c, voire une 200.
Faible énergie.6c ou 12c |
Moyenne énergie30c |
Forte énergie200c |
0/1 en grand volume d’eau, 240 ou 360 ml.1, 2, ou 3 succussions.3, 4, 5 ou 6 verres de dilution.Petites doses comme ½ cuiller à café. | 0/1 en volume moyen 120 ml.4, 5, 6, 7, 8 succussions.0 ou 1 verre de dilutionDose modérée comme 1, 2 cuiller à café. | 0/1 en faible solution (drooper dose).8 à 12 succussionsPrise directeFortes doses, cuiller à soupe. |
Pyramide des dynamisations
David ne prétend certes pas avoir inventé cette pyramide, mais il nous l’a proposée selon sa vision des posologies.
Dynamisations et stade de la pathologie
Ici David nous montre l’usage respectif des LM et des C en fonction du stade pathologique. Il dessine clairement dans les LM deux zones d’ouverture de traitement. Elles seront reprises dans le développement suivant qui concernera la dynamisation en fonction de la sensibilité du patient.
La première plage de 0/1 à 0/3 concerne les patients très sensibles ou atteints d’une pathologie chronique déjà évoluée. Ma formulation est bien entendu un pléonasme car toute personne atteinte d’une pathologie développée sera hypersensible au remède par définition.
La seconde plage concerne les troubles fonctionnels et / ou les sujets hyposensibles, par exemple de type flegmatique. Dans ces cas on peut ouvrir le traitement par 0/4 à 0/6, voire 0/7.
Dynamisation et sensibilité
Profil évolutif de l’affection (disease wave form)
Spectre des dynamisations
[1] Little dit : Hahnemann’s finger pointed at a paradigm, the gestalt, and people are looking at the finger.
Commentaires
Magnifique! Un grand merci pour ce texte et les illustrations.
Amitiés
Catherine
Infiniment MERCI!!!!
Quelle richesse!!!!!
Diane
merc i de ce merveilleux cadeau et bon WE Imesch
Merci beaucoup pour ces documents si précieux ainsi que pour le dernier cas qui nous guide sur la différence de médicament entre aigu et chronique. Y aura-t-il d’autres cas aigus abordés ? Et est-ce que les articles en anglais seront traduits en français (dommage que je n’aie pas été plus tenace en anglais quand j’étais au collège !).
Merci encore et bon week-end,
Bonsoir,
“Modeste dans le domaine de l’homéopathie, il se considère parmi les 5 tops mondiaux en ce qui concerne l’ostéopathie, et il le prouve aisément. Je l’ai vu analyser les anomalies d’un crâne d’une façon complète et systématique en quelques minutes puis le repositionner sans même en avoir l’air”
Je ne partage pas du tout votre enthousiasme.
Pour vous expliquer ma réaction, je vous cite un passage de l’ouvrage de Jacques Andreva Duval Techniques ostéopathiques d’équilibre et d’échanges réciproques, p 77 :
“En ‘libérant’ cette articulation, le praticien aura simplement fait sauter d’un seul coup la base de l’échafaudage sur lequel et autour duquel tout un schéma d’équilibre et d’échanges s’était organisé. En tout ou partie, ce schéma va s’effondrer : tous les processus vitaux d’adaptation vont se disloquer et en un instant toutes les compensations longuement accumulées vont être remises en question… De nouvelles compensations vont devoir s’installer à la hâte ; elles seront fatalement moins heureuses que les anciennes et feront avancer l’organisme du patient vers un état pathologique ‘chronique’ plus sérieux et moins réversible ; même si la correction de la lésion articulaire s’est immédiatement traduite par un soulagement local et momentané des symptômes”
D’après Jacques Andreva Duval, le praticien doit retirer son égo du problème et surtout ne pas négliger la “dimension-temps”.